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Patrimoine industriel
Photo: Nelson Boisvert. Site historique national de Paspébiac.
Catégorisation zone classée
14 mai 2023

Par la présente, il nous fait plaisir de faire parvenir au ministère de la Culture du Québec nos commentaires à la suite de la réception de notre avis de catégorisation. Des recherches récentes ont permis de faire ressortir plusieurs nouveaux éléments contribuant à la valeur patrimoniale des bâtiments, des terrains et du paysage global. Nous profitons donc aussi de l’occasion pour vous faire part de ces découvertes.

Extérieur exceptionnel
Il nous apparaît fondamental d’inclure la chambre forte Robin, un vestige du bureau administratif de la compagnie. De plus, nous tenons à souligner que l’usine de transformation est également incluse dans la zone classée. Inaugurée en 1966, elle fait partie du paysage industriel du banc de Paspébiac. Les deux composantes sont d’ailleurs inscrites formellement dans le Répertoire du patrimoine culturel du Québec.

Terrain
Nous souhaitons d’abord que l’ensemble des composantes déjà décrites dans notre désignation en tant que Lieu historique national du Canada (catégorie paysage culturel) soient intégrées dans le texte proposé. De plus, nous avons relevé une série de composantes liées aux compagnies Robin et LeBoutillier Brothers n’ayant pas fait l’objet de documentation par le passé: fondations de plusieurs bâtiments, protection côtière, trottoir de béton artisanal, chaînes et bien d’autres. Nous sommes d’ailleurs convaincus que des recherches plus formelles, réalisées par des archéologues, permettraient de dénombrer d’autres composantes liées à l’histoire de ces deux compagnies. À l’inverse, nous pensons qu’il faudrait enlever de la catégorisation les trottoirs de bois, qui constituent des installations contemporaines servant à faciliter la déambulation des touristes. Par son caractère industriel, à la fois ancien et contemporain, nous pensons finalement qu’il faudrait hausser le niveau de protection à “supérieur” ou “exceptionnel”, en s’assurant d’inscrire tous les éléments récemment documentés afin de s’assurer de leur protection.

Archéologie
Nous tenons à souligner que, en plus des compagnies jersiaises, le banc de Paspébiac possède un fort potentiel archéologique pour l’étude du Régime français ainsi que de la présence autochtone dans la région gaspésienne.

Zone non classée
Nous souhaitons finalement attirer votre attention sur la présence à Paspébiac, à l’extérieur de la zone classée, de plus d’une vingtaine d’autres bâtiments construits par les compagnies Robin et LeBoutillier Brothers. À moyen terme, nous pensons que la zone protégée devrait être agrandie pour inclure l’ensemble de ces bâtiments.

 

Extérieur
Chambre forte Robin
Tout d’abord, il nous apparaît primordial d’ajouter la « chambre forte » dans la liste des composantes du patrimoine bâti du site du Banc-de-Pêche-de-Paspébiac. Il s’agit ici d’un authentique vestige du bureau administratif de la compagnie Robin. Ce dernier bâtiment, construit vers 1845, constituait le cœur de l’établissement de Paspébiac. Dans les années 1930, il est l’objet de travaux de rénovation, c’est donc probablement à ce moment qu’est ajoutée l’actuelle chambre forte.

Malheureusement, en 1964, le bureau administratif de la compagnie Robin fait partie des dix-huit bâtiments détruits par un incendie sur le banc de Paspébiac. En raison de sa structure en béton, seule la chambre forte a résisté aux flammes. Des traces de brûlures sont d’ailleurs toujours visibles sur certains éléments en bois enchâssés dans la structure. Depuis cette époque, la « chambre forte » ou « coffre-fort » de la compagnie Robin a toujours été considérée comme faisant partie du site patrimonial du Banc-de-Pêche-de-Paspébiac.

Cette composante est d’ailleurs formellement inscrite dans le Répertoire du patrimoine culturel du Québec: « Le site patrimonial du Banc-de-Pêche-de-Paspébiac est un complexe industriel de pêche à la morue aménagé du XVIIIe au XXe siècle. Cet établissement se compose de douze bâtiments (huit en bois de facture vernaculaire, deux en pierre de facture simple et deux de facture plus moderne) et d’une structure en béton. Il comporte une poudrière de pierre (1788); trois « cook-room » et le hangar Robin (début XIXe siècle); un entrepôt de la compagnie Le Boutillier (entre 1845 et 1850); un hangar à farine, une charpenterie et une forge (avant 1870); un « office » de pierre (fin du XIXe siècle); une usine à poisson et un frigo (XXe siècle) ainsi qu’une ancienne chambre forte de béton. Le complexe industriel est situé sur le barachois de Paspébiac, dans la ville du même nom. »

Usine de transformation
Nous profitons également de l’occasion pour souligner que la description présentée dans le Répertoire du patrimoine culturel du Québec inclut également « une usine à poisson et un frigo (XXe siècle) ».

En 1964, le feu qui a dévasté le banc de Paspébiac a également détruit deux usines appartenant à la compagnie Robin, qui produisaient respectivement des filets de morue et de la farine de poisson. À la suite du désastre, la Robin a pris la décision de délaisser le secteur des pêches, pour se concentrer sur son réseau de magasins généraux. Le gouvernement du Québec annonce alors la construction d’une nouvelle usine, en collaboration avec un promoteur privé. L’actuelle usine a ainsi été inaugurée en 1966. Dans la foulée du rapport du BAEQ, Paspébiac fait alors partie des quatre centres hauturiers de pêche de la péninsule gaspésienne, avec Rivière-au-Renard, Newport et Sandy Beach. Adjacente au site historique, l’actuelle usine représente ainsi la continuité d’une tradition de transformation des produits de la mer, amorcée à Paspébiac dès le Régime français.

Disparition du « frigo »
Pour sa part, le « frigo » énuméré dans la description du RPCQ fait référence à un entrepôt frigorifique construit en 1933 par le gouvernement du Québec. Ce bâtiment était toujours présent à proximité du site historique lors de la création du site patrimonial du Banc-de-Pêche-de-Paspébiac en 1981. Malheureusement, ce bâtiment, lié à l’histoire des coopératives de pêche, a été détruit par un incendie en 1984. Des vestiges sont cependant toujours présents à proximité, soit une série de piliers de bois servant à protéger la côte.

 

Terrain
Paysage culturel du Canada
Tout d’abord, nous souhaitons rappeler que nous avons été classé dans la catégorie « Paysage culturel » lors de notre désignation en tant que Lieu historique national du Canada en 2001. À cet égard, nous remarquons que plusieurs éléments ont déjà été retenus dans notre catégorisation. Cependant, nous aimerions apporter davantage de précision en intégrant tous les autres éléments énoncés par le gouvernement fédéral:

– la topographie naturelle du lieu, qui forme une lagune délimitée par un long barachois s’allongeant dans la baie des Chaleurs et un banc de sable de forme triangulaire;
– la relation spatiale entre les bâtiments;
– la perspective que les bâtiments offrent entre eux et par rapport aux autres bâtiments situés sur le banc de pêche de Paspébiac;
– le panorama qu’ils offrent de la baie, vers la mer ainsi que de la passerelle et du barachois (lagune), vers la terre ferme;
– les activités de pêche pratiquées à cet endroit;
– la présence de quais, de rampes et d’autres structures et vestiges associés à la pêche commerciale et à la vie maritime.

En ce sens, ces nouveaux éléments permettraient d’harmoniser les protections offertes par les deux classements du site patrimonial du Banc-de-Pêche-de-Paspébiac. Cela viendrait également appuyer notre volonté de reconnaissance en tant que patrimoine mondial de l’UNESCO.

 

Autres éléments à protéger
Nous aimerions également attirer votre attention sur la présence, sur les terrains de la zone classée, de plusieurs autres éléments patrimoniaux directement reliés à l’histoire des compagnies Robin et LeBoutillier Brothers:

– Traces dans le paysage de la descente de la compagnie LeBoutillier Brothers;
– Fondation d’une annexe d’un bâtiment LeBoutillier Brothers des années 1840;
– Vestige de la protection côtière de la compagnie LeBoutillier Brothers;
– Fondation d’un bâtiment Robin des années 1870-1900;
– Trottoir en béton artisanal fabriqué par la compagnie Robin dans les années 1930;
– Chaînes de grand format ancrées au sol.

Ces éléments ne constituent qu’une liste préliminaire d’éléments que nous sommes actuellement en mesure de rattacher directement aux deux plus grandes compagnies jersiaises de la région au 19e siècle. Lors de nos tournées, nous avons également photographié des structures en bois, des ancres et beaucoup d’autres éléments encore non identifiés. Par leur rattachement direct au site classé, tous ces éléments possèdent clairement une valeur patrimoniale. L’absence de documentation formelle met clairement en péril la conservation de ces composantes. Nous sommes également convaincus qu’une recherche plus approfondie permettrait de faire ressortir beaucoup d’autres éléments d’importance.

Nous avons d’ailleurs dû déplorer récemment la disparition d’un pilier original construit par la compagnie Robin, probablement vers les années 1930. Ce dernier était situé à proximité de l’usine de transformation. Nous avons également observé des actes de vandalisme sur d’autres composantes. Finalement, depuis 1964, les traces des anciens axes de circulation de la compagnie Robin ont été presque totalement effacées du paysage.

Il convient ici de rappeler que la compagnie Robin a été la plus grande compagnie de pêche canadienne au 19e siècle. Fondée en 1765, elle n’a cessé définitivement ses activités qu’en 2016. Avec ses 251 années d’histoire, c’est la seconde entreprise la plus durable de toute l’histoire du Canada. En ce sens, en plus des bâtiments, tous les éléments qui sont rattachés à son histoire doivent être protégés.

Trottoirs de bois
Nous avons aussi noté que les actuels trottoirs de bois reliant les bâtiments ont été inscrits dans les composantes notables contribuant à la valeur patrimoniale du terrain. Il est important de noter que ces trottoirs de bois sont des constructions contemporaines, installées dans les années 2000 pour faciliter la circulation des touristes du site historique. Leur emplacement et leur dimension n’ont pas de fondement historique. Il a bel et bien existé de petites sections de trottoirs de bois autrefois mais elles n’étaient pas situées à cet endroit.

Archéologie
Au plan archéologique, nous tenons à souligner que le potentiel du banc de Paspébiac dépasse grandement le cadre des activités des compagnies Robin et LeBoutillier Brothers. Des recherches récentes ont permis de documenter la présence d’habitations et de résidents permanents dans la seigneurie de Paspébiac entre 1725 et 1760. Durant tout le régime français, Paspébiac fait également partie de la zone de fréquentation saisonnière par les pêcheurs basques. Les différentes sources à ce sujet sont disponibles en bibliographie.

De plus, selon l’interprétation la plus communément admise, le mot “Paspébiac” serait d’origine mi’qmaque. En raison de l’envergure de son barachois, l’endroit constitue un site privilégié pour l’installation de ces semi-nomades durant la saison estivale. Le 6 juillet 1534, l’explorateur Jacques Cartier aperçoit d’ailleurs une cinquantaine de barques mi’qmaques sur la pointe de Paspébiac. Après la Conquête, plusieurs documents historiques permettent également d’attester de la présence de Métis et d’Autochtones.

 

À l’extérieur de la zone classée
Nous souhaitons finalement attirer votre attention sur la présence à Paspébiac, à l’extérieur de la zone classée, de plus d’une vingtaine d’autres bâtiments construits par les compagnies Robin et LeBoutillier Brothers:

– Résidence du gérant-général de la compagnie Robin;
– Ferme Robin (7 bâtiments, caveau à légumes, chambre forte, latrine);
– Résidences des administrateurs (8 résidences avec dépendances);
– Résidence située sur la ferme de la compagnie LeBoutillier Brothers;
– Magasin à grande surface Robin;
– Puits Robin.

À ces éléments, viennent également s’ajouter plusieurs bornes d’arpentage, un boisé ancien ainsi qu’une zone autrefois utilisée pour la drave par la compagnie Robin. À moyen terme, nous pensons que la zone protégée devrait ainsi être agrandie pour inclure l’ensemble de ces composantes patrimoniales.

Selon nos recherches, les 35 bâtiments restants des compagnies Robin et LeBoutillier Brothers à Paspébiac constituent l’un des plus importants complexes patrimoniaux de l’industrie des pêches dans l’Atlantique nord. Un article scientifique sur le sujet paraîtra d’ailleurs bientôt dans la revue L’Estuaire de l’Université du Québec à Rimouski.

 

Pour consulter l’étude complète en format PDF

 

Bibliographie sommaire
Jeannot Bourdages, « Histoire et patrimoine des compagnies Robin et LeBoutillier Brothers », Revue L’Estuaire, « L’Est-du-Québec, pays maritime. Réalités maritimes bas-laurentiennes, gaspésiennes et nord-côtières du XVIIe siècle à nos jours », Rimouski, Université du Québec à Rimouski, 2023. À paraître.

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Jeannot Bourdages. Portes et quincailleries: étude historique. Paspébiac, Site historique national de Paspébiac, 2022. 147 pages.

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Camillia Buenestado Pilon. Que reste-t-il du patrimoine des pêches à Paspébiac? Paspébiac, Ville de Paspébiac, 2021.

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Jeannot Bourdages. Coffre-fort Charles Robin and Company: histoire, architecture, iconographie. Paspébiac, Site historique national de Paspébiac, 2021. https://sitepaspebiac.ca/wp-content/uploads/2022/02/2021-04-08-Coffre-fort-HAI-Reduit.pdf

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