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Le Site historique national de Paspébiac dans les années 1990.
Le Site historique national de Paspébiac dans les années 1990.
Le banc comme paysage culturel
22 novembre 2023

En 2000, Parcs Canada a publié une étude sur le Site historique de Paspébiac en tant que Paysage culturel. Cette démarche s’inscrivait dans le processus de reconnaissance en tant que lieu historique national du Canada (2001).

 

DESCRIPTION DU LIEU

Le banc de Paspébiac est une longue bande de terrain de forme triangulaire, formée de sable et de gravier, qui est située au nord-est de la ville de New Carlisle. Bordé au sud par la baie des Chaleurs, ce banc est encadré au nord par un ancien barachois, en grande partie comblé. Occupant une partie de ce banc, le site historique du Banc-de-Paspébiac regroupe dix bâtiments et une chambre forte.

Le visiteur qui arrive au site historique du Banc-de-Paspébiac depuis la municipalité de Paspébiac par la 3e Rue peut déjà avoir une excellente vue d’ensemble des lieux. La proximité de l’eau et le dépouillement du paysage combinés à la présence d’un ensemble de bâtiments de bois aux lignes simples, de vigneaux et de bateaux créent un paysage culturel à la fois sobre et harmonieux. Ce site comprend deux parties bien distinctes, le secteur ouest et le secteur est.

 

Le secteur ouest

Le secteur ouest, le plus vaste, est celui qui regroupe le plus grand nombre de bâtiments, soit huit dont trois commémorés par le gouvernement fédéral: ce sont l’office, le hangar Le Boutillier, le B.B., tous trois commémorés, le complexe de l’ancienne forge, la charpenterie, le cook-room no 1 (l’accueil), le cook-room n° 2 (la remise) et le cook-room no 3 (la forge). Ce secteur correspond à peu près au lot occupé par la compagnie Le Boutillier Brothers en 1870. De nos jours, c’est ici que se déroulent les activités d’animation et d’interprétation. Avec ses bâtiments, ses vigneaux pour sécher le poisson et ses bateaux posés sur le sol, c’est le secteur du site qui témoigne le mieux des installations et des activités de pêche qui s’y sont déroulées tout particulièrement au XIXe siècle.

Un trottoir de bois mène les visiteurs d’un bâtiment à l’autre. La visite débute aux cook-rooms, trois édifices rattachés les uns aux autres et couvrant une superficie de 32,7 m sur 17. Ces constructions de bois d’un étage et demi sont coiffées d’une toiture à deux versants droits. Elles servaient à l’origine à accueillir les travailleurs qui pouvaient y manger et y trouver le gîte; par la suite, elles furent utilisées pour l’entreposage de poulies et de cordages, puis de cafétéria. Les portes situées à l’étage permettaient d’ailleurs de hisser les marchandises. À l’origine, ces cook-rooms se trouvaient plus au sud sur le site. Deux d’entre eux auraient été  bâtis au début du XIXe siècle et le troisième après 1870. Celui de gauche, revêtu de bardeaux de cèdre, sert présentement à l’accueil des visiteurs et a été aménagé en magasin général. Les deux autres sont revêtus de bardeaux d’amiante. Celui du centre est fermé aux visiteurs, alors que celui de droite a été transformé en forge.

Le trottoir mène ensuite au complexe de l’ancienne forge, un grand édifice de bois aux murs revêtus de bardeaux de cèdre. Celui-ci possède un plan rectangulaire, deux étages et mesure 28,95 m sur 17, 85. On ignore quand cet édifice fut bâti ainsi que sa fonction d’origine mais on sait qu’il servit de forge au tournant du XXe siècle et sans doute d’entrepôt. Il a été modifié par différents ajouts au cours des ans. Plus récemment, l’intérieur a été rénové pour y accueillir un restaurant et une salle de spectacles.

Toujours du côté nord du site, le visiteur se rend au hangar Le Boutillier (commémoré en 1973). Ce bâtiment de trois étages, mesurant 21, 5 m sur 12, présente un plan rectangulaire, une toiture à deux versants droits et un revêtement de bardeaux de cèdre. Sa façade principale comprend quatre fenêtres dotées de petits carreaux et une grande porte à deux battants. Les murs gouttereaux ont à l’étage des fenêtres à battants qui permettaient de hisser et de descendre des marchandises. L’édifice aurait servi à l’entreposage et au pressage de la morue. De nos jours, il accueille les bureaux de l’administration et une exposition sur l’histoire des compagnies anglo-normandes.

À l’extrémité nord du site, tout près de l’ancien barachois, se trouve l’office (commémoré en 1973), un petit bâtiment de grès recouvert de chaux. Non seulement, celui-ci se démarque-t-il par son matériau et ses dimensions modestes – il mesure 9, 2 m sur 6, 8 m – mais aussi par son apparence distinctive, due à sa toiture légèrement cintrée et à la porte décentrée de sa façade. Sans doute bâti dans les années 1870-1880, il servit peut-être d’habitation au gérant de la Le Boutillier, mais plus probablement de bureau d’enregistrement pour les déclarations de douane. Des fouilles archéologiques ont montré qu’à une certaine époque, un quai se trouvait tout près du bâtiment. L’édifice a aussi servi de bureau et au tournant du XXe siècle, fut transformé en huilière pour la fabrication de l’huile de foie de morue. Il est présentement décoré avec du mobilier rappellant les tâches administratives qui y ont été accomplies par le passé.

Le prochain bâtiment est le B.B. (commémoré en 1973). Ses dimensions imposantes, sa forme et sa toiture aux deux versants galbés en font l’édifice le plus impressionnant et le plus remarquable du site. C’est d’ailleurs celui qui se distingue de l’ensemble lorsqu’on se dirige vers le banc par la 3e Rue. Mesurant 25 m de façade sur 18, 4 de côté, il compte cinq étages. Ses murs sont revêtus de bardeaux de cèdre et ses façades avant et arrière sont percées d’une vingtaine d’ouvertures et surmontées d’un oeil-de-boeuf. À l’intérieur, on peut apercevoir les grosses poutres équarries de la structure. Sans doute bâti dans les années 1845-1850 par la compagnie Le Boutillier alors que les affaires de cette compagnie étaient des plus florissantes, il servait en hiver à entreposer de grandes quantités de morue séchée et pendant l’été, à y garder diverses marchandises. Aujourd’hui, on y trouve un centre d’interprétation sur les pêches. Une partie du premier étage est aussi louée sur une base saisonnière à un commerçant régional. Seulement deux étages du B.B. sont accessibles au public, mais on peut entrevoir une partie des étages supérieurs puisqu’une portion des planchers a été vandalisée. On peut accéder au bâtiment par une porte située au niveau du sol ou encore par l’imposante rampe extérieure qui mène au deuxième.

Le visiteur se dirige enfin vers un autre bâtiment de bois d’assez grandes dimensions.  La charpenterie  mesure 20, 4 m sur 16, 8 m; elle a deux étages ainsi qu’une toiture à deux versants aux larmiers galbés et une annexe en appentis. L’édifice servait à la construction navale; le mur sud de la section en appentis permettait de sortir les bateaux. De nos jours, des artisans de la région y expliquent les différentes étapes de  la construction d’un  bateau. Les poutres intérieures comportent de nombreuses inscriptions anciennes, telles  que  des  noms  de bateaux et de personnes ainsi que des dates.

 

Le secteur est

Le secteur est du site est présentement  inaccessible  aux  visiteurs.  Il  est  complètement  isolé  du  secteur ouest par une usine de transformation de poisson, propriété de la compagnie Unipêche. C’est dans  cette  partie  du  site  que  se  trouvait,  au  XIXe  siècle,  l’ensemble  des  bâtiments  de  la compagnie appartenant à Charles Robin. Disséminés sur un vaste terrain gazonné, on y trouve présentement une chambre forte, un ancien hangar à farine et, en retrait, une poudrière.  La chambre forte est tout ce qui reste du magasin général qui  appartenait  à  la  compagnie  Robin  et qui disparut lors de l’incendie de 1964 (fig. 23 et 24). Cette structure de béton d’assez grandes dimensions (3, 8 m sur 4, 5 m) daterait de la fin du XIXe siècle.

Situé non loin de la chambre forte, le hangar  à  farine  est  un  bâtiment  de  bois  revêtu  de  bardeaux de cèdre, mesurant 13 m sur 6, 8  m  (fig.  25  et  26).  Son  apparence  rappelle  celle  des  autres bâtiments de bois du site. De plan rectangulaire,  ce  hangar  comporte  une  porte  surmontée  d’une petite fenêtre sur chacun des murs pignon. Son plancher  a  été  refait  en  ciment.  Un  peu  plus  vers l’est, la poudrière (commémorée en 1973) est un bâtiment de pierre, de 4, 3 m sur 3, 6 m. La façade de cet étonnant  petit  édifice  est  en  pierres  de  taille,  alors  que  ses  murs  latéraux sont de pierres des champs. L’intérieur  voûté  est  revêtu  de  lattes  de  bois  de  cèdre  sur  lesquelles sont inscrites de nombreuses signatures anciennes. En façade, il comporte une date (1788) en chiffres romains, qui pourrait  bien  être  sa  date  de  construction  et  en  ferait  le  plus  ancien  bâtiment du site.  On  peut  cependant  croire  que  la  toiture  à  larmier  incurvé,  la  façade  en  pierres  de  taille  et la porte  en  forme  d’ogive  sont  des  modifications  ultérieures.  Selon  la  tradition,  celui-ci  aurait  été  bâti  pour  entreposer  la poudre  à   canon  nécessaire  pour  se   défendre  contre  les   corsaires américains. Sa forme évoquant celle d’une chapelle aurait permis de déjouer d’éventuels attaquants. L’édifice servit aussi à entreposer de la poudre à fusil destinée aux clients des Robin et  de  la  poudre  pour  le  canon  qui  tirait  par  temps  de  brume  afin  de  guider  les  bateaux. 

De nos jours, le  site  du  Banc-de-Paspébiac  regroupe  donc  dix  bâtiments  et  une  chambre  forte  de béton répartis respectivement à l’ouest et  à  l’est  de  l’usine  de  transformation  de  poisson.  La  poudrière et l’office sont construits en pierre, alors que tous les  autres  bâtiments  sont  en  bois  et  revêtus de bardeaux de cèdre ou de bardeaux d’amiante (dans le cas de deux cook-rooms). Du côté ouest du site, les bâtiments avec leurs toitures à deux versants, leurs dimensions, leur volume et leur couleur blanche forment un ensemble harmonieux et unifié, qui se détache dans le paysage maritime. Par l’utilisation du bois et leur volume simple, ces bâtiments s’inscrivent dans la grande tradition vernaculaire de la Nouvelle-Angleterre, telle qu’elle a été adaptée dans cette région. Les dimensions de certains de ces bâtiments nous rappellent l’importance des activités qui se déroulèrent ici. Le côté est du site, présentement inaccessible aux visiteurs, offre un aspect plus dépouillé et un caractère plus évocateur.

 

JUSTIFICATION DE LA DEMANDE

Critère(s) approprié(s) de la Commission/lignes directrices:

Dans le cadre de ce rapport, le site du Banc-de-Paspébiac est considéré comme un paysage culturel. Tel que défini par le Comité du patrimoine mondial de l’UNESCO, un paysage culturel représente l’action combinée de la nature et de l’homme, illustrant ainsi l’évolution de l’être humain et de son établissement dans le temps, en fonction des contraintes physiques, des possibilités offertes par l’environnement naturel et des différentes forces sociales, économiques et culturelles en présence. Plus précisément, le site du Banc-de-Paspébiac appartient à la catégorie de paysage culturel dont l’évolution est qualifiée de «naturelle», c’est-à-dire que dans ce cas-ci des impératifs d’ordre économique, administratif et social ont entraîné la création d’un paysage dont la forme actuelle s’est développée en association avec le milieu naturel et en réaction avec celui-ci.

Ce paysage culturel sera étudié en fonction de deux critères de la Commission. Celui-ci sera d’abord examiné en fonction du critère 1 d) pour déterminer s’il est «associé d’une manière évidente et significative à un ou plusieurs événements considérés d’importance historique nationale». Il sera aussi évalué selon le critère 1 a) pour voir s’il «illustre une réalisation exceptionnelle par sa conception et son design, sa technologie ou son aménagement, ou représente une période importante de l’évolution du Canada».

 

Analyse de l’importance historique du lieu:

À la lumière des critères mentionnés précédemment, nous examinerons deux aspects de ce paysage culturel. En premier lieu, nous évaluerons son association avec le thème des pêches sur la côte est, et en particulier avec la pêche côtière dans le golfe du Saint-Laurent. En deuxième lieu, nous verrons comment il témoigne de ce thème par ses composantes visuelles et son caractère évocateur.

 

Association avec le thème des pêches sur la côte est

Le site du Banc-de-Paspébiac est un témoin privilégié de l’histoire des pêches sur la côte est du Canada, et plus précisément, de l’importance et de l’évolution de la pêche dans le golfe du Saint- Laurent. Deux puissantes compagnies d’origine jersiaise, d’abord celle de Charles Robin à compter de la fin du XVIIIe siècle, puis celle de David Le Boutillier à partir de 1838, vont s’établir sur le banc de Paspébiac et jouer un rôle de première importance dans l’histoire de la pêche côtière dans le golfe du Saint-Laurent. Ces deux compagnies sauront tirer profit des avantages naturels qu’offrait cet emplacement tant pour la pêche que pour le commerce et leurs différentes activités vont grandement marquer la vie et le travail des habitants de cette région.

Déjà en 1973, lorsqu’elle a recommandé la commémoration de quatre bâtiments du banc de Paspébiac, puis en 1975 dans le cadre d’un rapport préparé sur l’industrie des pêches sur la côte est, la Commission a souligné et identifié l’importance du lieu. Celle-ci envisageait même la possibilité d’y interpréter l’industrie de la pêche côtière dans le golfe du Saint-Laurent.

Par son emplacement et ses caractéristiques physiques, ce lieu a depuis longtemps été associé à des activités de pêche et de commerce: le barachois offrait de bonnes conditions naturelles, la morue était abondante et les grèves favorables au séchage du poisson. La présence d’un brouillard, plus léger dans cette région qu’ailleurs, permettait aux pêcheurs de débuter la pêche beaucoup plus tôt au printemps que dans la région de Terre-Neuve. Par ailleurs, les pêcheurs n’avaient qu’à s’éloigner d’un ou deux kilomètres du rivage pour y trouver le poisson en abondance.

L’arrivée de Charles Robin à la fin du XVIIIe siècle permettra de faire de Paspébiac la plaque tournante de l’industrie de la pêche dans le golfe du Saint-Laurent. Originaire de l’île anglo-normande de Jersey, Charles Robin arrive au banc en 1766 et y installe vers 1770 un premier poste de pêche permanent. Il réalise très vite le potentiel commercial de cette région et s’adonne alors à un commerce diversifié, qui repose surtout sur le troc de marchandises telles que le sel et des produits de base en échange de fourrures, d’huiles et de morue. Les problèmes qui existent entre les colonies américaines et l’Angleterre l’obligent à retourner à l’île de Jersey en 1778, car des navires de guerre et des corsaires américains arrivés dans la région lui occasionnent des problèmes. Il revient cependant en 1783 en tant que directeur de la société Charles Robin Company. Il obtient un titre provisoire de propriété sur la partie du banc qu’il occupe et commence à y construire des habitations, des ateliers, des entrepôts pour le sel, des cook-rooms, une forge et un échafaud. Son établissement est flanqué des installations de pêcheurs résidents. Par la suite, il obtient des concessions de lots de grève ainsi que des concessions de terres boisées qui lui serviront à approvisionner en bois son établissement et son futur chantier naval. Il ouvre des succursales à Percé et à Grande-Rivière en 1790. Puis en 1791, il établit à Paspébiac un chantier maritime qui lancera jusqu’au XXe siècle des bateaux de haute mer ainsi que des goélettes pour la pêche. En quelques années Robin contrôle de son quartier général de Paspébiac les pêcheries les plus importantes de la région, soit celles de la baie des Chaleurs et de la côte jusqu’à  Percé. Pour ce faire, il a sédentarisé la pêche et mis sur pied une exploitation permanente. Robin retourne en 1802 à Jersey mais continue à superviser les activités de sa société. En 1824, il confie l’administration de Paspébiac à son neveu.

Au milieu du XIXe siècle, la Charles Robin Company est une prospère entreprise d’exportation  de poisson qui a des succursales à Caraquet et à Newport. Les bateaux de cette société se rendent au Portugal, en Espagne, en Grande-Bretagne, en Italie, et même dans les Antilles et en Amérique du Sud. De Paspébiac, des milliers de quintaux de morue sont préparés pour l’exportation. Selon les saisons, on expédie le salt fish (d’avril à juin), le green fish (de juin à juillet) et le new fish (de juillet à novembre). Les denrées importées d’Europe, qui sont essentielles aux habitants de toute la région, y sont entreposées. Des centaines d’employés, commis, manoeuvres, pêcheurs et artisans travaillent et vivent sur le banc pendant sept mois de l’année.

À la fin du XVIIIe siècle, d’autres sociétés anglo-normandes, comme celles des frères Janvrin, des Fruing et des Le Boutillier, vont aussi pratiquer le commerce en Gaspésie et commencer à concurrencer la compagnie de Charles Robin. Son plus sérieux rival sera David Le Boutillier, qui est également originaire de l’île de Jersey. Celui-ci fonde sa propre compagnie, la Le Boutillier Brothers, après avoir quitté la compagnie de Charles Robin où il a travaillé comme commis. Il va même jusqu’à s’installer à proximité de son ancien employeur, sur le banc de Paspébiac. Sa compagnie connaît une grande expansion au cours des années 1840-1850 et fait construire plusieurs magasins et entrepôts sur le banc. C’est sans doute vers 1850 qu’est érigé le grand entrepôt pour le poisson, le B.B. Cette société devient au cours des années 1850-1870 une importante plate-forme commerciale. Elle a des installations à l’île Bonaventure, à New Carlisle ainsi qu’au Nouveau-Brunswick et sur la Côte-Nord. Ses exportations annuelles représentent le tiers de celles de la compagnie Robin.

Le grand succès de ces deux compagnies repose sur un mode de gestion bien particulier, le système à crédit. Selon ce système, la valeur du poisson rapporté par les pêcheurs est déduite du montant que ces derniers doivent au magasin de la compagnie pour les marchandises telles que le sel, les articles de pêches et les vivres nécessaires à la subsistance des familles. La valeur du poisson ne comble cependant jamais les avances reçues en début de saison et ce système entraîne l’endettement continuel des pêcheurs. Les nombreux artisans et employés de la compagnie sont aussi payés selon ce système ou avec des bons qui sont négociables seulement au magasin de la compagnie.

La période 1820-1870 sera «l’âge d’or du commerce de la morue séchée sur les côtes gaspésiennes». Un journal décrit alors Paspébiac en ces termes: C’est une véritable ville où tous les métiers sont exercés avec beaucoup d’intelligence et de perfection. Vous y rencontrerez des constructeurs de navires, des forgerons, des menuisiers, des cordonniers, une foule de tailleurs… de morue, et je ne pourrais jurer s’il n’y a pas même des barbiers. L’on y vend de tout, depuis la fine champagne jusqu’au whisky en esprit, depuis le fil à saumon au câble à tenir solide un vaisseau de 5 000 tonneaux, depuis le coton jaune à la soie brodée. 

La crise financière de 1886 entraîne la faillite de la Jersey Banking Company et la fermeture des compagnies Robin et Le Boutillier, laissant des milliers de personnes dans la misère. Menacés de famine, les employés du banc de Paspébiac pillent les magasins des deux compagnies. Les activités reprennent par la suite mais sur une plus petite échelle. Les entreprises vont aussi être restructurées à plusieurs occasions dans les années qui suivent. Réorganisée en 1888, la compagnie La Boutillier devient la Le Boutillier Brothers Company Limited, propriété de Richard Turner de Québec. Elle fermera ses portes en 1923. La compagnie Robin est aussi réorganisée en 1888, et devient la Charles Robin and Co. Limited, puis en 1891, la Charles Robin, Collas and Co. Limited. Même si son siège social est à Halifax à compter de 1908, elle conserve ses établissements de Paspébiac, Port-Daniel, Newport et Grande-Rivière. Dans les années 1910, la compagnie Robin a des comptoirs dans une trentaine de villages de la Gaspésie, de la Côte-Nord, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse et commence à développer le commerce de détail. À la fin des années 1930, elle est devenue la Robin, Jones and Whitman Company. Au fil des ans, les techniques de pêche et de préparation du poisson vont être modernisées. En 1958, cette compagnie ne conserve que quatre établissements de pêche, soit ceux de Paspébiac, Barachois, l’Anse-à-Beaufils et Newport. En 1960, après avoir essayé en vain de vendre ses installations de pêche de Paspébiac, elle délaisse ses activités maritimes pour ne garder que des comptoirs de vente au détail. En 1964, un incendie détruit une grande partie des bâtiments du banc de Paspébiac.

C’est donc sur le banc de Paspébiac que s’installent deux puissantes sociétés originaires de l’île de Jersey: d’abord celle de Charles Robin, puis celle de David Le Boutillier, qui vont toutes deux mettre sur pied des installations permanentes centrées sur la pêche, la production et le commerce de la morue séchée et salée. C’est ici qu’est acheminé le poisson pêché pour être préparé et entreposé pour l’exportation. C’est également ici qu’arrivent toutes les marchandises essentielles au travail des pêcheurs et des différents artisans ainsi qu’à la vie des familles. En raison de l’importance de ses activités, Paspébiac devient ainsi un grand centre où se retrouvent des centaines de travailleurs saisonniers, venus des îles anglo-normandes, mais aussi de différentes localités de la région et de paroisses plus éloignées. Ajoutant une autre dimension à ces activités commerciales, Paspébiac sera aussi très tôt un important chantier naval. Ainsi donc, pendant plus de cent cinquante ans, mais tout particulièrement au XIXe siècle, le banc de Paspébiac sera la plaque tournante de la pêche à la morue et de sa commercialisation dans le golfe du Saint- Laurent.

 

Les composantes et le caractère évocateur du lieu

Dans son état actuel, le site historique du Banc-de-Paspébiac est constitué d’une bande de sable et de gravier, bordée d’eau, où s’élèvent de sobres bâtiments blancs. Se dégage de l’ensemble une grande harmonie, créée par le cadre maritime, le dépouillement du paysage et la présence de bâtiments de bois aux lignes simples. La section ouest du site – celle qui est accessible aux visiteurs et aussi celle qui est visible en arrivant par le chemin – offre sur le plan visuel un ensemble particulièrement révélateur. C’est ici que sont regroupés huit bâtiments qui, par leur matériau, leur grande simplicité, leur couleur, leurs dimensions et leur toiture, forment un groupe homogène, uni par des caractéristiques architecturales communes, mais aussi par des fonctions et une histoire qui racontent l’évolution de cette entreprise de pêche. Bien que le B.B. domine l’ensemble par son impressionnant volume, la plupart des autres édifices sont également d’assez grandes dimensions, rappelant ainsi l’ampleur des activités qui se déroulèrent ici.

L’autre partie du site, celle à l’est de l’usine de transformation, est présentement inaccessible aux visiteurs. Dans cette portion du site, on trouve trois composantes assez différentes les unes des autres: un hangar à farine qui rappelle les autres bâtiments du site, une chambre forte de béton et la poudrière, un petit bâtiment de pierre, sans doute le plus ancien du site. Cette partie du site, avec ses anciennes ancres et ses chaînes en grande partie enfouies dans la terre, ses vestiges des fondations d’un bâtiment qui a brûlé et ses sentiers possède un caractère évocateur qui ajoute en quelque sorte une autre dimension à la compréhension du site.

La proximité de l’eau, la simplicité de l’environnement, la présence de vigneaux et de bateaux échoués, conjugués à un regroupement assez unique de bâtiments de bois aux lignes sobres, créent donc un paysage culturel avec une grande force visuelle qui évoque toute une époque, autant celle des compagnies qui se sont établies ici que celle des pêcheurs et des employés qui y ont travaillé. Par son cadre et ses composantes, ce paysage culturel est étroitement associé à l’histoire sociale et économique de cette région ainsi qu’à l’évolution de cette importante installation de pêche côtière.

 

Intégrité:

Le cadre

Le site du Banc-de-Paspébiac est aujourd’hui différent de ce qu’il a été par le passé. Pendant longtemps, les activités de pêche se sont déroulées sur tout le banc. Ce qui subsiste aujourd’hui de ce site jadis beaucoup plus vaste constitue néanmoins un ensemble bien délimité par sa géographie (sur le banc) et homogène du point de vue de son architecture (surtout la partie ouest du site). Le paysage maritime, la simplicité de l’ensemble, la présence de bateaux et de vigneaux sur le site ainsi que la sobriété visuelle des bâtiments qui subsistent témoignent encore avec force de ce qu’a été le banc et de son importance passée et rappellent la diversité des activités associées aux pêches qui s’y sont déroulées.

Aménagé à compter de la fin du XVIIIe siècle, le banc de Paspébiac a évolué au fil des ans. La morphologie du banc a été transformée par la nature elle-même, mais aussi par la main de l’homme: les courants maritimes de sens contraires ont transformé le banc, mais on y a aussi construit des ponts, des routes, des quais. Le côté ouest du banc a longtemps été ouvert permettant aux bateaux de venir s’abriter à l’intérieur du barachois. Pendant plus d’un siècle, le banc était relié à la terre ferme, du côté ouest, par un pont temporaire, qui devait être rebâti à chaque printemps. Un pont permanent fut construit vers 1870. Mais c’est surtout la construction de la 3e Rue dans les années 1950 qui a modifié la portion nord du banc en faisant disparaître le barachois. D’autres aménagements comme la construction d’un barrage bloquant le côté ouest et la construction de quais permanents ont également affecté la circulation des eaux et contribué à modifier la forme du banc.

Un autre changement que l’on peut identifier en étudiant d’anciennes photographies concerne la portion de terrain comprise entre le côté sud de l’entrepôt B.B. et le quai de pêche. Cette portion de terrain est présentement formée d’un remplisssage, qui daterait du début du XXe siècle. À l’origine, la partie arrière du B.B. reposait en partie dans l’eau, et on pouvait y accéder du côté sud grâce à un quai en bois. L’eau pouvait même pénétrer sous une partie du bâtiment. Mais des travaux de remplissage et la construction d’un quai ont modifié le terrain situé du côté sud. Cette proximité de l’eau est maintenant disparue. Les fondations de l’entrepôt B.B. sont d’ailleurs érigées sur des pilotis de bois, et les poutres des planchers sont fixées à ces pilotis. En 1864, l’artiste Thomas Pye écrivait: L’entrepôt au centre de la gravure s’avère la plus grande et parfaite chose du genre dans le district de Gaspé. Il est construit sur le quai de sorte que les marchandises peuvent y être déchargées directement des chalands et des bateaux qui transportent la cargaison des navires ancrés dans la rade.

Sur le banc même, le site du Banc-de-Paspébiac est entouré par différentes propriétés. Ainsi, à l’entrée du site, du côté nord, se trouvent deux petits bâtiments, qui sont la propriété de CHNC Radio New Carlisle. Du côté nord-est, le site est bordé par un terrain appartenant à la compagnie Irving. Les réservoirs d’essence qui s’y trouvaient ont été récemment enlevés. Du côté sud, le terrain appartient à la municipalité de Paspébiac qui y a récemment aménagé une aire de jeux. Par ailleurs, une usine de transformation de poisson appartenant à Unipêche sépare le site en deux. Cette usine est en exploitation durant l’été. Ce bâtiment industriel crée une sorte de barrière qui isole le côté est du site, où se trouvent la chambre forte, le hangar à farine et la poudrière. On note finalement la présence des services extérieurs d’alimentation et de distribution électrique qui sont en partie visibles sur la portion ouest du site. Un trottoir de bois a été aménagé sur la section ouest du site pour permettre aux visiteurs de circuler d’un bâtiment à l’autre.

 

La fonction

Ce lieu a depuis longtemps été associé à la pêche. Il fut d’abord fréquenté par les Micmacs puis par les premiers pêcheurs européens. A partir de la fin du XVIIIe siècle, Charles Robin et, au XIXe siècle, David Le Boutillier ont sédentarisé la pêche et ont exploité celle-ci sur une base permanente. La période 1820-1870 sera l’âge d’or du commerce de la morue séchée en Gaspésie. Après les difficultés économiques de 1886, les activités reprennent sur une plus petite échelle, et ce, jusque dans les années 1950. L’incendie de 1964 met définitivement fin aux activités qui s’y déroulaient encore. Depuis les années 1980, le site est devenu un centre d’interprétation de la pêche, perpétuant ainsi un lien avec les activités passées. Par ailleurs, la présence de l’usine de transformation qui scinde la propriété en deux poursuit l’association avec la pêche et lui donne une dimension contemporaine. Il en est de même des quais appartenant à Pêches et Océans Canada, situés à l’arrière du B.B. et à l’extérieur des limites du site historique, mais qui viennent compléter le paysage.

 

La conception des bâtiments

Selon les besoins, des bâtiments ont été construits, agrandis, déplacés ou démolis pour faire place à de nouveaux. Le banc a donc compté un nombre variable de bâtiments selon les époques. Par exemple, vers 1815-1820, on en compte 16, puis en 1828, une trentaine dont huit habitations, dix magasins, un entrepôt de sel, une voilerie, un atelier de garnitures et onze hangars. Le gros de la construction sur le banc s’effectue cependant avant 1870, par la suite, on s’occupe surtout de l’entretien et des réparations requises par tous ces bâtiments. En 1870, on y trouve une quarantaine de bâtiments que l’on peut répartir en trois grands ensembles: près du quai, s’élèvent deux rangées d’entrepôts de marchandises et les magasins, à l’arrière, les boutiques d’artisans, les hangars et les cook-rooms, puis en plein milieu, la résidence des agents de la compagnie. Ces installations ne subissent pas de grandes transformations après 1886 en raison des difficultés financières que connaissent les compagnies. A partir des années 1920, certains bâtiments sont progressivement abandonnés, alors que d’autres servent toujours à l’entreposage de marchandises, ou encore de charpenterie et de forge. 

Le grand nombre de bâtiments présents sur le site au XIXe siècle s’explique par la diversité des métiers qui y sont pratiqués et par l’importance des entreprises qui étaient sur place. Des centaines d’employés travaillent à Paspébiac. Toute cette main d’œuvre provient de l’île de Jersey, de la région immédiate ou encore de paroisses comme celles de L’Islet et de Montmagny et résident sur le site pendant sept mois. Des artisans, charpentiers, tonneliers, forgerons, calfats, voiliers et graviers s’y retrouvent, de même que les commis et manœuvres.

En 1964, un violent incendie détruit une grande partie des soixante bâtiments qui s’y trouvaient, pour n’en laisser qu’une dizaine. Plus près de nous, dans les années 1980, certains des bâtiments encore debout sont rénovés, et quelques-uns sont aménagés pour accommoder des activités administratives et d’interprétation. Ont été restaurés: le B.B., l’office, le hangar Le Boutillier, la poudrière, la forge, la charpenterie, le cook-room qui sert à l’accueil et le hangar à farine. Les interventions sur les bâtiments ont eu pour effet d’harmoniser les constructions anciennes afin d’y créer une certaine continuité. C’est ainsi que les revêtements en bardeaux de cèdre ont été réparés et peints de couleur blanche et les toitures refaites.

 

Contexte comparatif

Parmi les lieux associés à la pêche sur la côte est et commémorés au niveau fédéral, nous en retenons trois pour fins de comparaison avec celui à l’étude: il s’agit de l’arrondissement historique de Battle Harbour à Terre-Neuve, de l’établissement Ryan à Bonavista à Terre-Neuve et de l’arrondissement de Seal Cove, à Grand Manan au Nouveau-Brunswick. Ces trois sites, au même titre que celui de Paspébiac, illustrent par leur histoire, leurs installations et leur environnement, des aspects de l’industrie de la pêche, tels qu’identifiés par la Commission. Nous discuterons également du site de Grande-Grave dans le parc national Forillon où les pêches sédentaires sont aussi présentées.

 

L’arrondissement historique de Battle Harbour

Par son histoire, son architecture et l’agencement de ses édifices et de ses espaces ouverts, l’installation de Battle Harbour évoque l’atmosphère qui existait dans les petits ports de pêche disséminés sur les côtes de Terre-Neuve et du Labrador aux XIXe et XXe siècles et nous  renseigne sur l’histoire du commerce dans ces villages de pêche traditionnels. En 1975, la Commission identifiait les pêches du Labrador comme étant un thème d’importance historique nationale. En 1995, la Commission recommandait que ce thème soit interprété à Battle Harbour. L’année suivante, elle reconnaissait en outre que Battle Harbour, avec ses installations marchandes traditionnelles, ses différents établissements, son architecture vernaculaire traditionnelle et ses espaces ouverts, constituait un arrondissement historique d’importance nationale, tant sur le plan de son histoire que de son architecture.

 

Les premières installations permanentes de Battle Harbour sont mises en place à la fin du XVIII e siècle. La production de morue salée va grandement contribuer à son développement et, au milieu du XIXe siècle, Battle Harbour est devenu un important port de pêche dans l’anse St. Lewis ainsi que sur toute la côte du Labrador. Malgré le déclin de cette industrie, Battle Harbour va demeurer un centre important jusqu’à sa relocalisation en 1960 et sera utilisé comme dépôt saisonnier jusqu’en 1991. Battle Harbour fut un port qui accueillait les bateaux apportant les marchandises, dont le sel, mais c’était aussi un port d’où partaient les différents produits (morue, saumon, huile, etc.) vers les marchés extérieurs. Tout au long de son histoire, Battle Harbour est demeuré un établissement commercial auquel était greffée une petite communauté. Le site a toujours été dominé par un volumineux complexe commercial comprenant des quais, des trottoirs de planches, des chemins, des magasins, des entrepôts, des bureaux, des maisons, ainsi que des vigneaux et des installations pour traiter le poisson. De nos jours, Battle Harbour regroupe encore un grand nombre de bâtiments typiques d’une communauté portuaire qui a évolué pendant près de deux cents ans. À l’exception de l’église néo-gothique et du cottage Grenfell d’allure pittoresque, tous les bâtiments utilitaires sont de simples structures de bois, peintes d’une couleur uniforme. Ces bâtiments illustrent encore la variété des installations nécessaires au succès d’une telle entreprise. On y voit différents types de magasins, des entrepôts, des cook- rooms, des maisons et une église. Avec ses deux étages et demi, le magasin pour le sel est le bâtiment le plus volumineux du site. Une vingtaine de ces édifices ont été restaurés en 1996. Cinq bâtiments encore debout datent du XVIIIe siècle.

 

L’établissement Ryan

L’établissement Ryan de Bonavista à Terre-Neuve a été commémoré en 1987 en raison de son association avec différents aspects des pêches de l’Atlantique, et en particulier avec celui de la pêche côtière. La Commission affirmait alors que les pêches constituaient le thème le plus important de l’histoire de cette province, et ajoutait que cet établissement, avec ses diverses installations encore sur place, était le meilleur endroit pour y illustrer ce thème. Le site a été acquis par le gouvernement fédéral en 1992. Cette entreprise de pêche côtière fut fondée par James Ryan en 1856. Sa compagnie se rendit au Labrador en 1880, et y fut en opération jusqu’au vingtième siècle. Elle fut l’une des plus importantes entreprises sur la côte nord-est de Terre-Neuve. À une certaine époque, elle exportait près de 10 % de toute la production de poisson de Terre-Neuve. Présentement, le site comprend six bâtiments – deux magasins, un magasin/entrepôt, un entrepôt pour le sel et le charbon, une résidence et un petit hangar – qui constituent un ensemble homogène, datant des années 1860-1890. Avec leurs toits à deux versants, leurs ouvertures disposées avec régularité, ce sont des bâtiments de bois, fort simples, typiques de l’architecture vernaculaire de Terre-Neuve.

 

L’établissement de Seal Cove

En 1995, la Commission affirmait que l’établissement de Seal Cove, sur l’île Grand Manan au Nouveau-Brunswick, avec ses étals à hareng fumé, ses bâtiments et son environnement, présentait une richesse visuelle et un caractère évocateur qui faisaient revivre l’activité de la pêche et du fumage du hareng dans l’Atlantique. Ce site comprend encore cinquante-huit édifices, la plupart associés à l’industrie du hareng fumé, une industrie fort importante pour l’économie locale aux XIXe et XXe siècles. Seal Cove est un exemple d’une installation de pêche côtière, comme on pouvait en trouver sur la côte de l’Atlantique à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Dans les années 1870, l’île Grand Manan était l’un des lieux de production du hareng fumé les plus prospères au pays, et Seal Cove en était la principale installation, d’où son importance dans l’histoire des pêcheries canadiennes. La présence de la mer, des digues, des brise-lames, des édifices et des chemins contribue à rappeler l’esprit du lieu tel qu’il existait par le passé. La majorité des bâtiments qui se trouvent à Seal Cove datent des années 1870-1930, l’époque la plus productive. Avec leurs structures à ossature de bois revêtues de bardeaux, leur plan rectangulaire, leur volume assez élevé et leur toiture à deux versants, ces bâtiments rappellent l’architecture de la Nouvelle-Angleterre.

 

Le site de Grande-Grave

Le site de Grande-Grave dans le parc national Forillon a été «aménagé de manière à faire connaître l’importance historique nationale des pêcheries côtières (ou sédentaires) de la péninsule de Gaspé». La Commission a reconnu que la configuration du lieu, de même que la vingtaine de bâtiments encore debout illustrent bien le thème des pêches côtières dans la péninsule de Gaspé. Parcs Canada a aménagé le site de Grande-Grave dans le parc national Forillon pour y faire connaître les pêches sédentaires et l’établissement de villages côtiers dans la péninsule de Gaspé. Grande-Grave devient un poste permanent dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, alors que des sociétés marchandes d’origine anglo-normande, dont celle des Janvrin de l’île de Jersey, commencent à s’y établir. Au XIXe siècle, les Janvrin, qui sont aussi actionnaires de la compagnie Robin de Paspébiac, contrôlent le commerce de la morue dans la baie de Gaspé. Au milieu du XIXe siècle, la compagnie Janvrin passe aux mains de la William Fruing and Company, elle-même acquise entre 1918 et 1925 par la William Hyman & Sons. Grande-Grave est demeuré un établissement de pêche jusqu’à la création du parc Forillon en 1970.

Le paysage culturel de Grande-Grave, avec ses anses, falaises, quais, boisés et champs évoque encore très bien l’environnement qui était particulier aux villages des côtes gaspésiennes. Les maisons, petits bâtiments d’un étage et demi avec une annexe et une façade marquée d’une lucarne, expriment l’influence de l’architecture de la Nouvelle-Angleterre telle qu’elle se manifeste en Gaspésie. Trois ensembles distincts s’étendent sur la côte sud: un premier, dans le secteur du havre de Grande-Grave, regroupe les habitations et les dépendances Roberts, Gavey et Bartlett; un deuxième, dans le même secteur, comprend la maison et les dépendances Dolbel et le magasin et entrepôt Hyman; enfin un troisième, à l’anse Blanchette, présente un établissement familial. Tel qu’il se présente actuellement, le site de Grande-Grave, avec les bâtiments de la William Hyman & Sons non loin des maisons de pêcheurs et d’employés, présente l’installation d’une compagnie marchande ainsi que les habitations des employés et des pêcheurs. Les bâtiments nous rappellent trois aspects de cet établissement de pêche typique de la Gaspésie: la présence des marchands exportateurs de morue séchée, celle des commis et employés gérants, et celle des pêcheurs, à la fois clients et fournisseurs des sociétés de Grande-Grave.

 

Conclusion

Tous ces sites, de même que celui de Paspébiac, sont associés au grand thème des pêcheries dans l’est du pays. L’intégrité de leurs emplacements et de leurs installations de même que la diversité des bâtiments qui s’y trouvent encore, contribuent à en faire des lieux qui illustrent encore très bien différents aspects de leur passé et de leur évolution ainsi que la diversité des activités qui s’y sont déroulées. Par son emplacement géographique et son histoire, chacun de ces sites démontre une facette différente de ce thème: l’établissement de Battle Harbour, en présentant un petit port de pêche traditionnel, témoigne des pêcheries au Labrador; l’établissement Ryan conserve un ensemble de bâtiments qui illustre la pêche côtière à Terre-Neuve; l’établissement de Seal Cove au Nouveau-Brunswick est un exemple d’une installation de pêche côtière de l’Atlantique spécialisée dans la production du hareng fumé; le site de Grande-Grave illustre l’importance des pêches sédentaires dans la péninsule de Gaspé.

De son côté, le site du Banc-de-Paspébiac avec son ensemble de bâtiments spécialisés est étroitement associé à l’histoire et au développement de l’industrie de la pêche côtière dans le golfe du Saint-Laurent. Avec ses bâtiments tels que la charpenterie, la forge, le hangar à farine et l’entrepôt pour la morue, appartenant à deux sociétés qui engageaient des travailleurs saisonniers pour des tâches spécifiques, il met tout particulièrement en évidence l’aspect industriel du lieu et témoigne de son importance économique et de la diversité des activités qui s’y sont déroulées. Paspébiac et Grande-Grave tout en illustrant une même thématique en évoquent dans leur état actuel une facette quelque peu différente, et en ce sens se complètent. Tel qu’il se présente aujourd’hui, le site du Banc-de-Paspébiac nous rappelle la diversité des tâches nécessaires au succès d’une installation de cette envergure alors que Grande-Grave, dans son état actuel, présente la vie dans les communautés côtières, tout en ayant aussi des installations commerciales.

 

ÉTAT ACTUEL

Menace(s):

Lorsque la route qui mène au banc a été construite dans les années 1950, on a dû fermer l’ouverture nord-ouest du barachois et faire du remplissage. Le barachois comme tel n’existe plus et l’eau ne peut plus y circuler comme auparavant. Le banc est donc menacé du côté sud puisqu’il y a eu des changements au niveau des courants marins. Un comité est chargé d’étudier cette situation et fera entreprendre prochainement une étude qui devrait évaluer de quelle façon le barachois pourrait être ouvert de nouveau.

Un rapport d’évaluation technique et de financement des opérations sur le banc de Paspébiac a été préparé en 1998. L’une des conclusions de ce rapport est que malgré les travaux de restauration et de réhabilitation effectués sur huit bâtiments au cours des années 1980, certains présentent actuellement des problèmes en ce qui concerne leur enveloppe et parfois leur structure. On y signale que l’ajout d’isolants, l’absence de ventilation et le manque de chauffage en hiver ont contribué au développement d’humidité et à la formation de frimas, entraînant la détérioration des matériaux sous-jacents aux isolants. Certains édifices ont des problèmes de stabilité et plusieurs, des problèmes quant aux fenêtres, aux toitures, aux revêtements de bardeaux de cèdre et à la peinture extérieure. Ainsi, le B.B., dont les fondations et la structure ont été consolidées en 1981, présente des problèmes d’humidité et de pourriture aux fondations, aux planchers et aux encadrements des ouvertures. Certains bardeaux devraient être remplacés et les murs de l’édifice ont souffert du climat maritime et devraient être repeints. Restauré en 1981, l’office présente certains problèmes: humidité, infiltration d’eau qui entraîne le pourrissement des combles et des encadrements, mortier effrité sur les murs est et ouest et peut-être affaissement de la cheminée. Quant à la poudrière, la couverture de bardeaux, la porte d’entrée et les menuiseries extérieures sont en mauvais état et on note un affaissement de la fondation du côté nord. Par ailleurs, la chambre forte de béton n’a jamais été restaurée et est en mauvais état, et deux cook- room qui n’ont pas été restaurés présentent des problèmes d’infiltration d’eau.

 

Autres désignations:

En 1964, un violent incendie détruit la majorité de la soixantaine de bâtiments qui se trouve alors sur le banc de pêche de Paspébiac. Devant la possibilité que quatre bâtiments parmi la dizaine qui subsiste soient démolis, des groupes locaux entreprennent des démarches dans le but de les protéger. C’est dans ce contexte que la Commission des lieux et monuments historiques du Canada est appelée en 1973 à se prononcer sur l’importance historique nationale du B.B., de l’office, du hangar Le Boutillier et de la poudrière et qu’elle en recommande la désignation. Elle suggère que ces bâtiments pourraient éventuellement servir à l’interprétation des pêches côtières dans le golfe du Saint-Laurent. Elle réitère cette recommandation en novembre 1975 dans le cadre d’un rapport préparé sur l’industrie des pêches sur la côte est. Le Comité pour la sauvegarde des bâtiments historiques de Paspébiac prend en charge les bâtiments en 1977.

Quatre années plus tard, le site de Paspébiac, important témoin de l’histoire socio-économique de la Gaspésie, est classé par le gouvernement du Québec. Au cours des années 1980, le Comité pour la sauvegarde des bâtiments historiques de Paspébiac, avec l’aide du gouvernement provincial et de la population, fait restaurer certains bâtiments, dont les quatre qui ont été commémorés en 1973. Devant l’évolution du dossier, la Commission prend la décision en 1988 de ne pas poursuivre son projet d’interprétation des pêches sédentaires au banc de Paspébiac et de plutôt mettre en valeur l’établissement de pêche de Grande-Grave au parc national Forillon.

 

Évaluation de la collectivité:

La gestion de l’animation du site, de son entretien et de ses opérations est assurée depuis plus de vingt ans par un organisme sans but lucratif. En 1998, plusieurs intervenants de la communauté – la Chambre de commerce du Grand Paspébiac, le Conseil de la culture de la Gaspésie, ainsi que le bureau régional du ministère de la Culture et des Communications – ont manifesté leur appui à la demande d’aide financière que cette société sans but lucratif avait adressé à la Commission.

Le site est ouvert aux visiteurs de juin à octobre. Il reçoit en moyenne de 25 à 27 000 visiteurs par an. Pendant l’été 2000, on y a reçu 28 000 visiteurs. Six bâtiments sont accessibles au public et la visite dure environ une heure et demie. Le visiteur a accès à une variété de services et d’activités. L’ancienne forge comprend un restaurant qui offre des mets typiques de la région et une salle de spectacles. Dans le hangar, une exposition permanente décrit les activités des compagnies anglo-normandes et dans le B.B., une exposition temporaire présente des objets qui ont servi au tournage de la série télévisuelle «L’ombre de l’épervier». Des activités traditionnelles sont également présentées dans certains des bâtiments: un forgeron façonne clous et outils et un charpentier explique les techniques de construction navale. On essaie de plus en plus d’encourager la communauté locale à utiliser les lieux à diverses fins. Ainsi, pour la première fois cette année, on ouvrira le restaurant au mois de décembre afin d’y recevoir différents groupes de la région.

Le site du Banc-de-Paspébiac a fait l’objet d’articles dans les Chemins de la mémoire et dans la revue Continuité. Le ministère de la Culture et des Communications a aussi publié un livret sur ce site. Il figure également dans la brochure préparée par le ministère du Tourisme sur la Gaspésie.

Mentionnons enfin que le site a été lauréat du Grand Prix du tourisme gaspésien dans la catégorie Accueil et services à la clientèle en 1993 et en 1995; en 1998, il recevait le prix spécial du Bureau fédéral de développement régional (commercialisation hors Québec).

 

IMPORTANCE HISTORIQUE EN RÉSUMÉ

Le site du Banc-de-Paspébiac est un éloquent témoin de l’histoire de la pêche côtière dans l’est du pays. C’est sur le banc de Paspébiac que deux sociétés originaires de l’île de Jersey, les compagnies Robin et Le Boutillier, se sont installées pour pratiquer la pêche et faire le commerce de la morue séchée. Paspébiac devient ainsi la plaque tournante de la pêche à la morue et de sa commercialisation dans le golfe du Saint-Laurent. Encore aujourd’hui, les bâtiments du site, tant par leur diversité que par leurs dimensions, démontrent l’importance sociale et économique de cette grande entreprise et évoquent la variété des activités de pêche qui s’y sont déroulées sur une période de plus de cent cinquante ans. L’environnement maritime, le dépouillement du paysage, la simplicité des bâtiments de bois sont autant d’éléments qui constituent la richesse visuelle du lieu. La diversité des fonctions associées à ces édifices et leurs dimensions souvent imposantes sont un autre rappel de l’importance du site pour l’histoire des pêches côtières dans le golfe du Saint-Laurent.

 

SOURCE

Nathalie Clerk. Formulaire de demande du lieu: Le site historique du Banc-de-Paspébiac. Parcs Canada, 2000.