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Historique de l'Entrepôt LeBoutillier
L'Entrepôt LeBoutillier Brothers. Photo: Jeannot Bourdages, Site historique national de Paspébiac.
Historique de l’Entrepôt LeBoutillier
20 mars 2024

En 1838, la LeBoutillier Brothers est fondée par des anciens employés de la compagnie Robin : les frères David, Edward et Amy LeBoutillier. L’entreprise connaît une croissance rapide de ses activités. Des postes de pêche sont implantés au Labrador, en 1842, et à l’île Bonaventure, en 1845. C’est dans ce contexte qu’est construit l’imposant Entrepôt LeBoutillier Brothers, communément appelé “BB”.

Construit vers 1861, l’édifice est d’une dimension jamais vue dans les établissements de pêche du golfe du Saint-Laurent. Sur le banc de pêche de Paspébiac, l’édifice se démarque avec ses cinq étages, sa large façade et ses larmiers incurvés. Par son immensité, il domine tous les autres bâtiments, dont ceux de la compagnie voisine, et grande rivale, la Robin. Symboliquement, le message est clair : la LeBoutillier Brothers entend bien compétitionner avec le puissant empire Robin. Ce n’est que quelques années plus tard, vers 1870, que la compagnie Robin construira son propre entrepôt géant, de quatre étages, appelé “CRC”.

Sur un plan fonctionnel, l’édifice permet d’entreposer les grandes quantités de morue rapportées des postes de pêche lointains, notamment ceux de l’île-au-Bois, de Forteau et Green Island (détroit de Belle-Isle). Durant tout l’hiver, la morue y est conservée, pour ensuite être expédiée par bateau au printemps sur les marchés internationaux. L’entrepôt LeBoutillier est d’ailleurs construit sur le bord de l’eau et possède son propre quai pour le chargement.

L’approvisionnement en matériaux a nécessité l’embauche d’une main-d’œuvre imposante. Selon un ancien travailleur, Benjamin Parisé, le transport du bois a mobilisé tous les travailleurs ainsi que tous les boeufs de charroi de Paspébiac, et ce, pendant un hiver entier! Pour sa part, le chantier de construction aurait duré cinq années.

À l’origine, l’entrepôt LeBoutillier est utilisé pour la classification, la pesée, la mise en tonneaux et l’expédition de la morue séchée. Selon Léonard Lebrasseur, “on rentrait la morue avec des chevaux et on la mettait en pile. Ensuite on classait la morue […] On la paquetait en boîtes ou en boucauts. On montait ça en haut pour l’entreposer.”

L’entrepôt LeBoutillier possède toujours aujourd’hui des pressoirs permettant de compresser la morue séchée à l’intérieur des tonneaux de transport. À tous les étages, il est doté d’un système de portes doubles et de trappes permettant d’effectuer le transport des marchandises. Au sommet, l’entrepôt possède une grue pivotante, actionnée manuellement par les travailleurs, grâce à un système de roues dentées. À l’extérieur, un système de mâts de chargement, de poulies et de cordages, recourant à la force des chevaux, a également pu être utilisé à l’époque.

Du côté de la mer, au sommet, l’entrepôt est doté d’un œil-de-boeuf vitré, avec une ornementation évoquant des rayons de soleil. Selon Benjamin Parisé, une lumière éclaire cette ouverture à l’époque. Durant la nuit, elle sert vraisemblablement à guider les navires lors de leur arrivée au quai de la compagnie. Le jour, l’œil-de-boeuf permet également aux employés d’avoir une vue panoramique sur la navigation dans la baie des Chaleurs.

Au début du 20e siècle, un séchoir artificiel est installé à l’intérieur de l’entrepôt. Alimenté par une fournaise au charbon, il permet d’effectuer un dernier séchage de la morue avant l’expédition. Un système semblable existe également à l’intérieur du grand entrepôt (“CRC”) de la compagnie Robin. Selon Lionel Castilloux, “il y avait un dryer là-dedans en cas qu’elle était pas assez sec, pour la faire sécher […] On étendait c’te morue là sur des p’tits vigneaults, qui runnaient sur des railes pis ça restait là une journée. On sortait ça le soir, des fois deux jours.”

L’année 1929 constitue un tournant. Après la faillite de la LeBoutillier Brothers, l’entrepôt est racheté par la compagnie Robin. Cette dernière convertit alors le bâtiment en entrepôt à charbon.

Selon Lionel Castilloux: “C’est là que le charbon venait des chars pis on descendait ça là avec des trucks. Il y avait un bridge qui montait au deuxième étage pis les trucks tournaient en haut là, pis y dompaient leur voyage, pis ça tombait dans le premier étage en bas. Pis là en bas on mettait ça dans des sacs de 80 lbs. Pis on charroyait ça dans les maisons, par New-Carlisle, tout le long de la côte.”

À cette époque, les étages supérieurs auraient également servi à entreposer divers types de marchandises. Selon Hedley Mitchell, “en haut il y en avait de toutes les sortes là dedans, mais si on voulait une belle planche de pin, on allait là la prendre.” Il est aussi possible que des équipements, comme des rampes de lancement de bateaux, y aient été entreposées de manière permanente.

Après le feu de l’année 1964, l’entrepôt est laissé à l’abandon par la compagnie Robin. Selon la tradition orale, des habitants en profitent alors pour subtiliser des matériaux de construction. C’est ce qui expliquerait l’absence d’une bonne partie des planches des étages supérieurs.

Après sa reprise par le Comité de sauvegarde, l’Entrepôt LeBoutillier a subi d’importants travaux de restauration. L’ancienne rampe de chargement du charbon a été reconstruite à deux reprises, soit en 1980-1981 et en 1999. Finalement, en 2004-2005, de grands travaux ont notamment permis de restaurer la disposition d’origine des ouvertures.

 

Chronologie

[ca 1861]: Construction

[ca 1888]: Ajout d’un appentis sur la façade.

[Entre 1905 et 1919]: Aménagement d’un séchoir artificiel à morue.

[ca 1929]: Aménagement d’une rampe permettant aux chariots et aux camions d’accéder à l’étage.

[ca 1940]: Démantèlement des cheminées du séchoir à morue, fermeture de certaines fenêtres et portes doubles des murs pignons.

[ca 1970]: Remblaiement du terrain derrière l’entrepôt, recouvrement de la toiture en tôle, démantèlement de la rampe. Des voleurs profitent aussi de l’abandon du bâtiment pour y subtiliser des matériaux, notamment les planches des étages supérieurs.

1980-1981: Travaux de restauration, Jean-Luc Heyvang, architecte: nouvelle rampe, nettoyage des murs intérieurs au jet sous pression, toiture en bardeau de cèdre, reconstitution des coyaux des débords latéraux, remplacement complet du bardeau mural, consolidation de la structure (pilotis de bois goudronnés sur dalle de béton), reconstitution des portes et fenêtres, plomberie et électricité.

1989: Travaux de restauration GID Design (Émile Gilbert, architecte): Peinture du bardeau mural.

1999: Jean-Luc Heyvang, architecte: reconstruction de la rampe de l’entrepôt LeBoutillier.

2001: Jean-Luc Heyvang, architecte: intervention sur le plancher central.

2004-2005: Travaux de restauration Boudreau Fortier et Associés: remplacement des bardeaux de cèdre de la couverture, reconstitution des portes doubles des deux façades, peinture des bardeaux muraux.

2005: Étude de dendrochronologie par l’Université Mount Allison. Les six échantillons prélevés sont de l’épinette (noire ou rouge).

 

Références

  • – André Robichaud et Colin Laroque. Tree Ring Dating: Entrepot LeBoutillier and Carpentry. Sackville, Mount Allison Dendrochronology Lab, 2005. 5 pages.
    – Transcription des entrevues avec des pêcheurs et leur familles: Benjamin Parisé, 1977, p. 6; Léonard Lebrasseur, 1980, p. 5; Simon Castilloux, 1980, p.11; Lionel Castilloux, 1980, p.2-3; Hedley Mitchell, 1977, p. 2.
    – André Lepage. Le site historique du Banc-de-Paspébiac. Sainte-Foy, Publications du Québec, 1997. 36 pages.

 

 

Document-synthèse

2024-04-02 Entrepot LeBoutillier HAI v2.2