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Projet d’énoncé d’intégrité commémorative
Dévoilement de la plaque commémorative du Site historique national du Banc-de-pêche de Paspébiac, 19 septembre 2003.
Projet d’énoncé d’intégrité commémorative
19 septembre 2021

En 2003, Parcs Canada a amorcé un projet d’énoncé d’intégrité commémorative pour le Site historique national de Paspébiac. Voici la version préliminaire du document:

 

Désignation

Au début des années 1960, la compagnie Robin mettait fin à près de 200 ans d’activités dans le domaine des pêcheries pour ne se consacrer qu’au commerce de gros et de détail. Le déploiement de l’entreprise de même que celle notamment de son concurrent la Le Boutillier Brothers avait conduit à la formation du plus important établissement de pêche de la Gaspésie à Paspébiac. Or voici que, le 21 juin 1964, un violent incendie détruit la majorité de la quarantaine de bâtiments qui se trouvaient alors sur le banc de pêche de Paspébiac. Par la suite, les quelque dix bâtiments sauvés de la catastrophe furent laissés à l’abandon. Devant la possibilité que quatre des dix bâtiments soient démolis, des groupes locaux entreprirent des démarches dans le but de les protéger. C’est dans ce contexte que la Commission des lieux et monuments historiques du Canada fut appelée en 1973 à se prononcer sur l’importance historique nationale de l’entrepôt B.B., de l’office, du hangar Le Boutillier et de la poudrière et qu’elle en recommanda la désignation. Elle suggéra du même coup que les quatre bâtiments puissent éventuellement servir à l’interprétation des pêches côtières dans le golfe du Saint-Laurent. La Commission réitéra cette recommandation en novembre 1975 dans le cadre d’un rapport préparé sur l’industrie des pêches sur la côte est. L’année suivante, elle approuva un texte de plaque destiné au lieu historique. 

En 1977, le Comité pour la sauvegarde des bâtiments historiques de Paspébiac prit en charge les bâtiments. En 1981, le site de Paspébiac fut classé site historique par le gouvernement du Québec comme important témoin de l’histoire socio-économique de la Gaspésie. Au cours des années 1980, le Comité, avec l’aide du gouvernement provincial et de la population, fit restaurer certains bâtiments, dont les quatre qui avaient été commémorés par la Commission en 1973. Dans le contexte d’une implication exclusive du ministère québécois des Affaires culturelles dans le dossier, la Commission recommanda en 1988 de ne pas donner suite à son projet d’interprétation des pêches sédentaires au banc de Paspébiac et de se limiter à l’apposition d’une plaque commémorative. En conséquence, la Commission “se dit d’accord pour que Grande-Grève (Parc national Forillon) soit aménagé de manière à faire connaître l’importance historique nationale des pêcheries côtières (ou sédentaires) de la péninsule de Gaspé.” 

À Paspébiac, les investissements du ministère québécois des Affaires culturelles dans les années 1980 permirent la restauration de certains bâtiments et de mettre en oeuvre un programme d’interprétation axé sur le caractère industriel et commercial de l’histoire du banc. Après plusieurs années de mise en valeur du site historique, une demande d’appui financier dans le cadre du Programme national de partage des frais est présentée en 1998 par Madame Sylvie Bond, directrice du Site historique du Banc-de-Paspébiac. À la suite de cette demande, trois des quatre bâtiments déjà commémorés (en 1973) selon la recommandation de la Commission des lieux et monuments historiques du Canada – l’entrepôt de poisson de la compagnie Le Boutillier Brothers, communément appelé le B.B., l’office et le hangar Le Boutillier – sont placés sur une liste de priorité élevée. Face à la demande des responsables du site historique d’ajouter au lieu historique national quatre autres bâtiments, la Commission demanda des avis à Parcs Canada dans le but de considérer une nouvelle désignation de l’ensemble du site à titre de paysage culturel ou d’arrondissement historique. Ce fut chose faite en juin 2001 lorsque la Commission recommanda la désignation du lieu historique national du Canada du Banc-de-Pêche de-Paspébiac. 

 

Objectifs de commémoration 

Le banc de pêche de Paspébiac a été désigné lieu historique national en 2001. Les motifs de la désignation, figurant dans les procès-verbaux de la Commission des lieux et monuments historiques du Canada, pour le banc de pêche de Paspébiac, sont les suivants: 

  • il est un éloquent témoin de la pêche commerciale à la morue pratiquée dans le golfe du Saint-Laurent, elle-même un élément important de l’histoire de la pêche côtière dans l’Est du Canada; la diversité, les dimensions et l’intégrité des bâtiments qui le composent montrent bien son importance sociale et économique et témoignent de l’évolution de la pêche commerciale au cours dune période qui s’étend sur plus de 150 ans. 

 

Contexte historique et géographique 

Localisé sur le littoral de la municipalité de Paspébiac en Gaspésie, le banc de Paspébiac forme une longue flèche littorale de sable et de gravier qui pointe vers le sud dans les eaux de la baie des Chaleurs. De forme triangulaire, le banc encadre au nord un ancien barachois, en grande partie comblé aujourd’hui. Le site historique du Banc-de-Paspébiac occupe la partie ouest du banc laquelle était autrefois reliée à la rive du village par une longue passerelle remplacée aujourd’hui par une chaussée permanente devenue la 3e rue. Cette rue dessert aujourd’hui d’autres propriétés où se trouvent des installations de facture contemporaine, ce sont : deux petits bâtiments propriété de CHNC Radio New Carlisle, un terrain appartenant à la compagnie Irving débarrassé depuis peu de ses réservoirs d’essence, un terrain de la municipalité aménagé en aire de jeux, et surtout un port de pêche et une usine de transformation de poisson dont l’emplacement, au milieu du site historique, crée une barrière qui isole des autres bâtiments la chambre forte, le hangar à farine et la poudrière. 

Le site historique ne conserve qu’une fraction (10) des quelque soixante bâtiments qu’il comportait à la fin du XIXe siècle alors que la compagnie Robin y avait déployé, voisin, à partir de 1838, la Le Boutillier Brothers (12 bâtiments). Le violent incendie de 1964 va raser la plupart des bâtiments toujours en place à l’époque (une quarantaine) n’épargnant que sept bâtiments et un coffre-fort de l’établissement Robin et trois bâtiments de la Le Boutillier Brothers (Figure 2). 

Malgré les altérations dont il porte encore les traces, le site du Banc-de-Paspébiac demeure un témoin privilégié de l’histoire des pêches sur la côte est du Canada, et plus précisément, de l’importance et de l’évolution de la pêche dans le golfe du Saint-Laurent. De par sa localisation et ses caractéristiques physiques, le banc de Paspébiac présente des avantages qui n’ont pas échappé aux marchands anglo normands qui vont y déployer leurs entreprises de pêche après le Conquête. Les eaux poissonneuses de la baie des Chaleurs étaient fréquentées par des pêcheurs français depuis le XVIIe siècle lesquels surent profiter des conditions climatiques favorables de la Gaspésie pour y produire une morue séchée de grande qualité au fait des activités lucratives de leurs voisins normands notamment, les entrepreneurs des îles Jersey et Guernesey ne mirent pas trop de temps à les remplacer sur les graves de la Gaspésie. 

C’est l’arrivée de Charles Robin en 1766, en tant que représentant de la Robin, Pipon and Co., qui va entraîner le déploiement d’une grande entreprise qui fera de Paspébiac la plaque tournante de l’industrie de la pêche dans le golfe du Saint-Laurent. Originaire de l’île anglo-normande de Jersey, Robin y installe vers 1770 un premier poste de pêche permanent en s’appuyant sur une petite population acadienne ayant fui la déportation et en entraînant des compatriotes anglo normands. Toutefois son élan sera freiné par les conséquences de la Révolution américaine. Il est en effet forcé de retourner à l’île de Jersey en 1778, car des navires de guerre et des corsaires américains s’attaquent à ses cargaisons et à son comptoir de Paspébiac. La paix revenue, il revient en Gaspésie en 1783 en tant que directeur de la nouvelle société Charles Robin and Company. Il obtient un titre provisoire de propriété sur la partie du banc qu’il occupe et commence à y construire des habitations, des ateliers, des entrepôts pour le sel, des cookrooms, une forge et un échafaud. Il ouvre également des succursales à Percé et à Grande-Rivière en 1790. Puis en 1791, il établit à Paspébiac un chantier maritime qui lancera jusqu’au XXe siècle des bateaux de haute mer ainsi que des goélettes pour la pêche. Robin retourne en 1802 à Jersey et confie l’administration de Paspébiac à son neveu Philippe Jr. Depuis Saint-Aubin à Jersey, Charles Robin continuera de diriger la compagnie jusqu’en 1808, alors qu’il passe les commandes à son autre neveu James; Charles décédera à Jersey en 1824. 

Au milieu du XIXe siècle, la Charles Robin and Company deviendra la plus prospère entreprise d’exportation de poisson de la baie des Chaleurs et de la côte gaspésienne. Les navires de cette société se rendent au Portugal, en Espagne, en Grande-Bretagne, en Italie, de même que dans les Antilles et en Amérique du Sud. De Paspébiac, des dizaines de milliers de quintaux de morue sont préparés pour l’exportation. Depuis la fin du XVIIIe siècle, d’autres sociétés anglo-normandes, comme celle des frères Janvrin, par ailleurs associée à Robin, et celles d’ex employés de Robin comme William Fruing, John Le Boutillier et David Le Boutillier, vont aussi pratiquer le commerce en Gaspésie et commencer à concurrencer la compagnie Robin. Son plus sérieux rival sera, un de ses employés, David Le Boutillier lequel fonde, avec deux de ses frères, la Le Boutillier Brothers. Le Boutillier s’installe à proximité de son ancien employeur, sur le banc de Paspébiac où il érige, à compter de 1838, son propre établissement. Cette société devient au cours des années 1850-1870 une importante plate-forme commerciale. Elle a des installations à l’île Bonaventure, à New Carlisle ainsi qu’au Nouveau-Brunswick et sur la Côte-Nord. Ses exportations annuelles représentent le tiers de celles de la compagnie Robin. 

L’efficacité et la réussite des compagnies anglo-normandes reposaient sur un mode de gestion de la pêche commerciale qui a caractérisé l’histoire des pêcheries du golfe Saint-Laurent et notamment celles de la Gaspésie, de la côte nord et du Nouveau Brunswick. Charles Robin fut lui-même une sorte de théoricien de ce mode de gestion adopté par l’ensemble des sociétés marchandes qui furent fondées dans le sillage de la sienne. Il s’agit du Truck System tel que l’a esquissé l’historien Harold Innis, c’est-à-dire un système de crédit que des études récentes ont contribué à mieux faire comprendre. Ce système traduit des pratiques commerciales qui consistent à établir un contrôle durable sur les pêcheurs producteurs de morue séchée. Le système de crédit repose sur des avances en moyens de production et en marchandises accordées aux pêcheurs pour leur permettre d’exercer leur métier et de faire vivre leurs familles. À la fin d’une saison toujours trop courte, la valeur des prises ne dépassait que rarement celle des avances de sorte qu’il en a résulté un endettement chronique des producteurs envers les marchands. Ces pratiques commerciales ont subsisté, en Gaspésie notamment, jusque dans les premières décennies du XXe siècle, bien après que le capital anglo-normand ait déserté les pêcheries du golfe. 

Après que le commerce de la morue séchée ait connu un âge d’or de 1820 à 1870, la crise financière de 1886 entraîna la faillite de la Jersey Banking Company et la fermeture des compagnies Robin et Le Boutillier, laissant des milliers de personnes dans la misère. Par la suite, les entreprises vont être restructurées à plusieurs occasions. En 1888, la compagnie La Boutillier devient la Le Boutillier Brothers Company Limited, propriété de Richard Turner de Québec. Elle fermera ses portes en 1923. La compagnie Robin réorganisée en 1887, deviendra la Charles Robin, Collas and Co Limited. En 1904, la compagnie passe à des intérêts de Halifax pour devenir la Robin, Jones and Whitman Company laquelle conserve les établissements de Paspébiac, Port-Daniel, Newport et Grande-Rivière. Dans les années 1910, la compagnie Robin a des comptoirs dans une trentaine de villages de la Gaspésie, de la Côte-Nord, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse et commence à développer le commerce de détail. Au fil des ans, les techniques de pêche et de préparation du poisson vont être modernisées. En 1958, cette compagnie ne conserve que quatre établissements de pêche, soit ceux de Paspébiac, Barachois, l’Anse-à-Beaufils et Newport. En 1960, après avoir essayé en vain de vendre ses installations de pêche de Paspébiac, elle délaisse ses activités maritimes pour ne garder que des comptoirs de vente au détail. En 1964, un incendie détruit une grande partie des bâtiments du banc de Paspébiac.