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Mgr Joseph-Octave Plessis. Bibliothèque et Archives Canada. MIKAN 2882492.
Mgr Joseph-Octave Plessis. Bibliothèque et Archives Canada. MIKAN 2882492.
Récit de voyage de Mgr Plessis
27 octobre 2023

Voici la description des établissements de la compagnies de Paspébiac, Grande-Rivière et Percé offerte par Mgr Plessis lors de son passage 1811-1812:

«Il était question de savoir si l’on accorderait une mission aux habitants de Paspébiac, établissement qui se trouve à quatre lieues au-dessous et du côté de la Baie de Bonaventure. Le prélat, après avoir entendu tout ce que l’on rapportait de leur peu de religion, de leur grossièreté, de leur ignorance, de leur barbarie, se décida à les aller voir, persuadé que plus ils avaient de mauvaises qualités et plus ils avaient droit à sa sollicitude. Dès le vendredi, il leur envoya MM. Huot et Gaulin, avec charge de les assembler, de les catéchiser, et de les préparer ainsi à sa visite. Il s’y rendit lui-même le samedi soir, (20) assisté de M. Desjardins, l’abbé Gagnon étant demeuré à Bonaventure pour y célébrer l’office du lendemain. Le trajet se fit en berge, et aurait été assez heureux sans une pluie de plus d’une heure qui humecta les voyageurs apostoliques, et qui, obscurcissant le ciel, leur permis à peine d’apercevoir une ville en herbe nommée Carlisle, qui ne tire d’importance que de la douane qui y est établie et à laquelle tous les bâtiments qui entrent dans la Baie des Chaleurs viennent payer leur hommage. Ni les cinq coups de canon tirés par un navire mouillé dans la rade de Paspébiac, ni la mousqueterie des habitants répandus sur la grave, ne les empêchèrent d’être traversés jusqu’aux os. Il était nuit quand ils arrivèrent à la chapelle ; elle est située sur le coteau, à 8 ou 10 arpents de la mer ; ce coteau s’appelle le Bois, parce qu’il a été boisé jusqu’à ces années dernières, et que jusqu’alors les habitants pour la commodité de la pêche, demeuraient sur le banc, où une partie d’entr’eux passent encore la plus grande partie de l’été dans des cabanes pratiquées à cet effet ; quand ils les quittent pour aller reprendre leurs habitations d’hiver, on dit qu’ils remontent au bois.

Paspébiac est l’endroit central du grand commerce de morue de MM Robin; ils y ont leur comptoir et leur principal magasin, et sont propriétaires d’une étendue de terre considérable. Les habitants, auxquels ils se sont rendus nécessaires, sont des espèces de cerfs entièrement dans leur dépendance; ils ont concédé à 33 d’entre’eux, 33 arpents de terre de front sur 10 de hauteur, en sorte que chaque colon n’ayant que dix arpents en superficie pour sa part, ne peut vivre qu’avec le secours de la pêche, et que se trouvant hors d’état d’en faire les avances nécessaires il est toujours endetté au bourgeois, toujours à sa disposition, exposé à être mis à bord de quelqu’un des bâtiments de la compagnie et à faire le voyage d’Europe en qualité de matelot, lorsque ses dettes sont rendues au point de ne pouvoir être acquittées par la pêche. Aussi n’est-il pas rare d’en trouver qui ont été à Jersey, à Lisbonne, à Cadix, à Messine, à Palerme.

Les premiers habitants de Paspébiac s’étant alliés à des sauvagesses, toute la colonie formée par leurs descendants a une portion de sang sauvage, ce qui met entr’eux et les autres habitants de la Baie des Chaleurs une différence capitale. Ceux du bas de la paroisse de Caraquet partagent cette ignominie ; les étrangers, les Acadiens surtout, se croiraient déshonorés en s’alliant à ces descendants de sauvages, et ne les regardent qu’avec un certain mépris.

Cependant il est vrai de dire qu’ils n’ont rien dans leurs mœurs qui respire la barbarie. Ils donnèrent même, lors de la mission, des preuves de prévenance et d’hospitalité qui les mettraient presque au niveau des habitants de Bonaventure ; il ne leur manque qu’un peu de la bonne grâce avec laquelle ceux-ci font leurs offrandes.

Pour leur être utile dans la partie la plus urgente, l’Evèque de Québec régla qu’il n’y aurait ni chant ni aucun autre office pendant la mission, mais seulement des basses messes, et que tout le temps que les confessions laisseraient libre serait donné à l’instruction. Elle ne fut pas épargnée. Il y eut, chacun des quatre jours qu’elle dura, deux catéchismes, deux sermons, une conférence ; cependant il n’y eut que 34 personnes de confirmées, quoique les fidèles de Port Daniel se fussent réunis à ceux de Paspébiac pour profiter de la mission. M. Huol, pressé de faire sa mission de Miramichi, avait quitté Paspébiac dès le samedi précédent pour se rendre à Caraquet et y faire l’office du lendemain avant de se mettre en route pour aller plus loin.

Le jeudi arriva : c’était le jour fixé pour le départ, car il fallait avancer l’ouvrage et annoncer dans d’autres endroits le royaume de Dieu. Les Paspébiaciens soutenant leur caractère de générosité armèrent trois berges pour conduire l’évêque et sa suite à la Grande Rivière. Dans leur ardeur ils s’offrirent d’aller jusqu’à Percé, qui est à vingt lieues plus bas, et auraient volontiers fourni six berges au lieu de trois. On leur persuada de modérer ce zèle, et vers dix heures l’embarquement se fit sur les trois berges, au bruit ordinaire de la mousqueterie, car la Baie des Chaleurs est une région où l’on dépense de la poudre plus qu’en aucun autre endroit du Canada, quoiqu’elle y coûte pour l’ordinaire cinq à six chelins la livre.

[…] La Grande Rivière est aussi une seigneurie que le gouvernement britannique a, dit-on, concédée par surprise à M. Robin, chef de la maison de Paspébiac, au lieu de la donner à M. Delafontaine, ancien habitant du lieu qui avait prié ce même Robin de la solliciter pour lui ; elle est d’une lieue et demie quarrée, la devanture est très-riante, garnie d’une douzaine d’habitations, et assez abondante en morue. Cependant la pêche de cette année a été retardée d’un mois faute de bouette : on appelle bouette le poisson (hareng ou maquereau) avec lequel on appâte la morue ; cette bouette n’est pas la même partout. Il y a des endroits, Caraquet par exemple, où l’on préfère le poisson tiré de certains coquillages que l’on nomme des cocques.

[…] Il y a quelques protestants à Percé, dont deux sont marchands et juges de paix, (MM. Fox et Robin,) les autres sont des pêcheurs comme tous les habitants catholiques dont la plupart sont canadiens. Il y a environ 9 familles irlandaises catholiques sur la terre ferme ; sur l’isle de Bonaventure on en compte sept, mêlées d’un plus grand nombre de familles protestantes, en sorte que Percé tout entier, c’est-à-dire en comprenant l’isle de Bonaventure, l’anse-à-Beaufils et le Barachois, situé entre Percé et la Malbaie, fait en tout trente et quelques familles catholiques, dont tous les missionnaires n’ont cessé de blâmer l’indolence pour les choses de la religion. Il ne leur a pas fallu moins de quinze ans pour construire une misérable chapelle de bois, où il ne fait bon qu’autant qu’il ne pleut pas dehors. Ils ont commencé, il y a environ deux ans, une sacristie qui doit aussi servir de retraite au missionnaire ; mais elle est demeurée en chantier avec peu d’espérance qu’elle finisse bientôt.

29. – Cependant la mission commença le lundi matin ; les instructions furent assez suivies et il se confessa une partie assez considérable de la population et des étrangers ; car tout le long de l’été il n’y a pas à Percé moins de 200 jeunes gens de différentes paroisses du sud du district de Québec, qui viennent y faire la pêche à la moitié de leur ligne. Celui-là est à la moitié de sa ligne, qui ne partage avec son compagnon que la moitié du poisson qu’il prend dans son été, l’autre moitié tout entière appartenant au bourgeois qui leur fournit la berge et tous ses agrès, excepté les hameçons et les lignes, et se charge de saler et faire sécher leur part de morue avec la sienne. Ce nombre d’étrangers, considérable pour un petit endroit, est nuisible aux mœurs déjà assez déréglées. 

[…]  6. – Ce fut le samedi matin que l’abbé Painehaud se joignit finalement aux missionnaires qui étaient constamment restés à bord de la goëlette. Il apporta avec lui quelques rafraîchissements, veau, beurre, biscuits, fruits de l’honnêteté de M. Robin, marchand de Percé. On leva l’ancre dès qu’il fut à bord.» 

 

Source

Joseph Octave Plessis. “Journal de deux voyages apostoliques dans le golfe Saint-Laurent et les provinces d’en bas, en 1811 et 1812”, Le foyer canadien, 1812, p. 73-280. https://archive.org/details/cihm_55563/mode/1up

James H. Lambert, « PLESSIS, JOSEPH-OCTAVE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 27 oct. 2023, http://www.biographi.ca/fr/bio/plessis_joseph_octave_6F.html