Nouvelles et blogue

Peindre avec de l'huile de morue!
Peindre avec de l’huile de morue!
7 avril 2021

En 2017, des échantillons de peinture provenant d’une porte et d’une fenêtre de la charpenterie ont été analysés par l’Institut canadien de conservation (ICC). Selon cette étude, il s’agit d’une “peinture traditionnellement utilisée pour peindre les bâtiments des pêcheries de l’est du Canada, décrite comme contenant de l’ocre rouge et de l’huile de foie de morue, cette huile donnant une teinte plus brune que rouge à la peinture.”

À Terre-Neuve, l’ocre rouge est largement utilisée pour peindre les bâtiments de pêche au 19e siècle, et ce, jusqu’au début du 20e siècle. Elle est parfois extraite dans des mines de la région. Mais, plus couramment, elle est importée d’Angleterre sous forme de poudre. Pour produire la peinture, il faut ensuite mélanger l’ocre rouge avec d’autres ingrédients, dont de l’huile de foie de morue.

Réalisées de manière artisanale, les recettes varient grandement d’un endroit à l’autre. À Terre-Neuve, on rapporte que l’on fait bouillir l’ocre rouge, l’huile ainsi que les foie de morue pendant plusieurs jours dans une grande marmite. Les teintes de rouge varient selon l’ocre utilisée, le type d’huile et la technique utilisée. De manière générale, il semble toutefois que l’utilisation de l’huile de foie de morue donne une couleur davantage brunâtre à la peinture.

À Paspébiac, les compagnies Robin et LeBoutillier peuvent aisément se procurer de l’ocre rouge car leurs navires fréquentent régulièrement les ports européens. Mais il est également possible qu’elles aient pu s’approvisionner localement. Cette pratique est d’ailleurs attestée historiquement à d’autres endroits dans la région. Aux Îles-de-la-Madeleine, on utilise même l’expression “peinture de cap”, pour désigner l’utilisation d’ocre provenant des falaises. Soulignons d’ailleurs la parenté de la peinture analysée avec la couleur des falaises de Paspébiac.

L’analyse effectuée par l’ICC indique qu’il s’agit d’un mélange, vraisemblablement effectué sur place à Paspébiac. Le résultat final est un rouge mat, terreux, tirant vers le rose. Outre de l’ocre et de l’huile de morue, on y trouve également de la résine de pinacée (sapin, épinette ou cèdre…), de la cire d’abeille, de l’amidon, du plomb, du carbonate de calcium, du dioxyde de silicium… Aussi, la présence de sulfate de baryum amène les experts à affirmer qu’il s’agit probablement de la peinture originale utilisée au 19e siècle.

En terminant, il est important de noter que ce type de peinture est aussi utilisé pour les voiles, les cordages, les filets ainsi que pour d’autres outils de pêche. À Paspébiac, les compagnies Robin et LeBoutillier ont ainsi besoin de quantités importantes de peinture pour leurs bâtiments, leurs bateaux et leurs équipements. En 1870, la tonnellerie est d’ailleurs utilisée pour le rangement de la peinture, des cordages et des poulies. À la même époque, de la peinture est également vendue aux clients des magasins Robin et LeBoutillier Brothers à Paspébiac.

Connaissant la tradition d’autosuffisance des compagnies, il est pratiquement certain que les peintures utilisées au 19e siècle sont préparées de manière artisanale par les employés. En ce sens, sa valeur patrimoniale s’avère grande et doit être mise en valeur comme l’un des rares témoins des peintures à base d’huile de morue de l’Est du Canada.

Jeannot Bourdages, conservateur

Références

Marie-Claude Corbeil et al. Analyse d’échantillons prélevés sur des bâtiments du Banc-de-pêche-de-Paspébiac, Ottawa, Institut canadien de conservation, 2017: p. 5.
“La Mine-à-Peinture-de-Titi-Henry”, Topoésie, page web consultée le 15 décembre 2020, https://topoesie.com/item/mine-a-peinture-de-titi-henry/
H. W. McGerrigle, The geology of Eastern Gaspé, Québec, Département des mines, 1960, p. 116.
Archives de la ville de Paspébiac, Livre de compte de la fabrique Notre-Dame-de-la-Purification de Paspébiac 1846-1910.