En 1778, durant la Guerre d’Indépendance, l’établissement de pêche de Paspébiac est attaqué, pillé et incendié par des corsaires américains. Son fondateur, Charles Robin, est même brièvement emprisonné. Découragé, il s’en retourne dans son île natale, à Jersey. Ce n’est qu’une fois les hostilités terminées, qu’il revient s’installer sur le banc de Paspébiac.
En 1783, c’est un nouveau départ. Les bâtiments sont reconstruits, les activités de pêche, de transformation et d’expédition de la morue reprennent graduellement. La Charles Robin and Company, une petite entreprise à l’origine, deviendra bientôt un véritable empire dans le golfe du Saint-Laurent.
Charles Robin fait construire la Poudrière en 1788. La date de construction est gravée en chiffres romains sur l’une des pierres: MDCCLXXXVIII. Un plan, daté de 1819, permet également de préciser sa fonction: en anglais “magazine”, soit un bâtiment servant à entreposer de la poudre à canon et/ou des munitions.
Historiquement, les postes de pêche gaspésiens ont toujours été vulnérables aux attaques. Souvent isolés, ils étaient peu protégés par leurs propriétaires ou les autorités coloniales. En faisant construire ce bâtiment, la volonté de Charles Robin apparaît clairement: la prochaine fois, il compte bien se défendre des attaques ennemies.
Au plan stylistique, la poudrière se démarque grandement des bâtiments habituellement construits dans les postes de pêches. Tout d’abord, l’usage de la pierre s’avère très rare. Seuls deux autres exemples sont connus à l’heure actuelle: la demeure de John LeBoutillier à Gaspé et l’Office LeBoutillier Brothers à Paspébiac. Bien sûr, ce choix de matériaux est d’abord motivé par la fonction de conservation de la poudre. Advenant une explosion, les dégâts seraient ainsi limités.
Sur l’île de Jersey, la pierre est fréquemment utilisée pour la construction des bâtiments. Il est également possible de déceler certaines ressemblances avec d’autres éléments architecturaux: pierres millésimées, arc en accolade, épis de faîtage, etc. Par sa date de construction, il est possible que la Poudrière puisse avoir été davantage influencée par l’architecture jersiaise. À l’époque, Charles Robin effectue d’ailleurs fréquemment l’aller-retour entre l’île et Paspébiac.
En 1973, Meredith H. Sykes de Parcs Canada établit également un lien entre la porte en accolade et le renouveau gothique – un courant architectural important au 19e siècle. Par sa date de construction hâtive (1788), elle indique que la Poudrière constituerait ainsi un bâtiment stylistiquement unique au Canada, voire même en Amérique du nord. Plus tard, d’autres auteurs ont évoqué une possible influence italienne ou orientale. Certains ont aussi affirmé que la forme du bâtiment avait été choisie dans l’objectif d’imiter une chapelle, et ce, afin de la dissimuler aux yeux d’éventuels envahisseurs.
Au 19e siècle, certains éléments architecturaux apparaissant sur la Poudrière ont souvent été réutilisés sur d’autres bâtiments de pêche, que ce soit à Paspébiac ou ailleurs. C’est notamment le cas des œils-de-boeuf, des épis de faîtage et des avants-toits incurvés. Est-il possible que ce bâtiment, qui est le plus ancien de toute la péninsule gaspésienne, ait pu contribuer à définir le style des bâtiments de pêche de la compagnie Robin ainsi que de ses concurrentes?
Parmi les différents éléments d’ornementation, l’inscription du chiffre “63” demeure toujours mystérieuse. Il est possible qu’il s’agisse d’un ancien système de numérotation des bâtiments. C’était effectivement une pratique en usage dans le monde des pêches. À l’heure actuelle, nous n’avons cependant pas trouvé d’autres traces de ce système.
Une autre hypothèse serait qu’il s’agisse de la commémoration d’une date. S’agirait-il de l’année 1763, qui marque le transfert de la colonie à l’Empire Britannique? À moins qu’il s’agisse de l’année 1863, peut-être l’année d’une rénovation du bâtiment? Toutes ces questions demeurent cependant sans réponses pour l’instant.
Au 20e siècle, un ancien travailleur, Léonard Lebrasseur indique qu’elle est dorénavant peu utilisée. Dans les années 1970, elle sert simplement d’espace de rangement par le ministère de l’Industrie et du commerce. Il faudra attendre sa reprise en main par le Comité de sauvegarde pour qu’elle soit finalement protégée. Elle fait d’ailleurs partie des quatre premiers bâtiments classés par le gouvernement du Canada en 1973.
Par ses différents détails architecturaux, ses matériaux et son style, la Poudrière a été l’objet d’une grande attention lors de sa construction, et ce, par Charles Robin en personne. Dans l’avenir, il serait important de faire des recherches approfondies sur le sujet, dans l’espoir de mieux comprendre ce bâtiment tout à fait unique.
Chronologie
1788: Construction à la suite de l’attaque des corsaires américains.
[après 1850]: Possibles modifications apportées au bâtiment.
[ca 1970]: Recouvrement de la toiture avec du bardeau d’asphalte.
[ca 1977]: Utilisation comme entrepôt par le ministère Industrie et commerce du Québec.
1981: Travaux de restauration (Jean-Luc Heyvang, architecte).
1989: Travaux de restauration GID Design (Émile Gilbert, architecte).
2005: Travaux de restauration (Boudreau, Fortier et Associés).
Références
Joan Stevens. Old Jersey Houses, vol. 1 et 2, publiés chez Phillimore and Co.
Meredith H. Sykes. Barachois Buildings, Paspébiac, PQ. Historical Sites and Monuments Board of Canada, 1973, p. 3-4. Il est à noter qu’elle est également l’auteur d’un guide d’analyse du patrimoine bâti publié par l’UNESCO en 1984.
Comité pour la sauvegarde des bâtiments historiques de Paspébiac. Des bâtiments historiques à l’abandon., 1977, p. 44.
Document-synthèse
2021-03-22 Poudrière – Histoire, architecture et iconographie