En 1778, durant la Guerre d’Indépendance aux États-Unis, l’établissement de pêche de Paspébiac est attaqué, pillé et incendié par des corsaires américains. Son fondateur, Charles Robin, est même brièvement emprisonné. Découragé, il s’en retourne dans son île natale, à Jersey. Ce n’est qu’une fois les hostilités terminées, qu’il revient s’installer sur le banc de Paspébiac.
Nous avons longtemps pensé que la Poudrière avait été construite quelques années plus tard. Le chiffre 1788 est d’ailleurs gravé sur l’une des pierres de la façade, en caractères romains (MDCCLXXXVIII), laissant ainsi penser qu’il s’agissait de l’année de construction. Récemment, à la suite d’un examen par l’archéologue Tommy Simon-Pelletier, nous avons plutôt découvert qu’il s’agissait finalement d’un repère géodésique portant le numéro R-1788. Ce repère comprend également un boulon de cuivre ancré dans la pierre.
Au plan historique, la première mention de la Poudrière remonte à l’année 1819. Sur un plan conservé à la Société Jersiaise, le bâtiment est identifié sur son site actuel par le terme anglais “Magazine”. Plus tard, sur un plan datant de 1870, la fonction est présentée de manière encore plus explicite (“Powder Magazine”), soit un entrepôt servant à conserver la poudre.
Au 19e siècle, plusieurs récits indiquent que la compagnie Robin possédait effectivement des canons pour défendre ses navires. En 1836, l’abbé Ferland mentionnne que “pendant la dernière guerre, tous les navires des Robin étaient armés de canons, et en état de se défendre contre les armateurs des États-Unis”. En 1848, selon Moses H. Perley, une batterie de canons de six livres était également installée pour défendre l’établissement de Paspébiac. Outre la fonction défensive, les canons sont aussi utilisés pour saluer l’arrivée de dignitaires, comme l’évêque anglican de Québec, en 1885.
À l’époque, la Poudrière servait donc à entreposer la poudre, que ce soit pour les besoins de la compagnie Robin, ou encore pour la vente auprès de la population locale. Les témoignages de contemporains nous permettent également de documenter la possession de mousquets par les habitants. Paspébiac possède d’ailleurs sa propre milice locale, et ce, dès 1789.
Ailleurs dans le golfe du Saint-Laurent, la compagnie Robin a également construit des poudrières à Percé et Caraquet. Ces deux derniers bâtiments n’existent toutefois plus aujourd’hui.
De manière générale, l’utilisation de la pierre s’avère rare dans les établissements de pêche. Dans le cas de la Poudrière, ce choix de matériel s’explique par la nature explosive du produit. Advenant un incident, la pierre permettrait ainsi de limiter les dommages. À Paspébiac, le bâtiment est également situé dans un secteur isolé, pour éviter qu’une éventuelle explosion n’endommage d’autres bâtiments à proximité.
Au plan stylistique, la Poudrière de Paspébiac se démarque grandement par sa porte en accolade, sa façade en pierre taillée, ses épis de faîtage et son œil de bœuf. En 1973, Meredith H. Sykes de Parcs Canada établit également un lien entre le style de la porte d’entrée et le renouveau gothique – un courant architectural important au 19e siècle. D’autres auteurs ont également évoqué une possible influence italienne ou orientale. Certains ont finalement affirmé que la forme du bâtiment avait été choisie dans l’objectif d’imiter une chapelle, et ce, afin de la dissimuler aux yeux d’éventuels envahisseurs.
Parmi les différents éléments d’ornementation, au-dessus de la porte, l’inscription du chiffre “63” demeure toujours mystérieuse. Il est possible qu’il s’agisse d’un ancien système de numérotation. En 1848, Moses Perley indique justement que “chaque bâtiment de l’établissement est identifié par un numéro ou une lettre”.
Une autre hypothèse serait qu’il s’agisse de la commémoration d’une date. S’agirait-il de l’année 1763, qui marque le transfert de la colonie à l’Empire britannique? À moins qu’il s’agisse de l’année 1863, peut-être l’année d’une rénovation du bâtiment? Toutes ces questions demeurent sans réponses pour l’instant.
Au 20e siècle, un ancien travailleur, Léonard Lebrasseur indique qu’elle est dorénavant peu utilisée. Dans les années 1970, elle sert simplement d’espace de rangement par le ministère de l’Industrie et du commerce. Il faudra attendre sa reprise en main par le Comité de sauvegarde pour qu’elle soit finalement protégée. Elle fait d’ailleurs partie des quatre premiers bâtiments classés par le gouvernement du Canada en 1973.
Chronologie
[ca 1783-1819]: Construction de la Poudrière.
[après 1850]: Possibles modifications apportées au bâtiment.
[ca 1970]: Recouvrement de la toiture avec du bardeau d’asphalte.
[ca 1977]: Utilisation comme entrepôt par le ministère Industrie et commerce du Québec.
1981: Travaux de restauration (Jean-Luc Heyvang, architecte).
1989: Travaux de restauration GID Design (Émile Gilbert, architecte).
2005: Travaux de restauration (Boudreau, Fortier et Associés).
Références
Fiche signalétique no. R-1788, Gouvernement du Québec, Énergie et ressources naturelles, 2024. 2 p.
Jean-Baptiste-Antoine Ferland. La Gaspésie, [Québec?], A. Côté et Cie, 1877, p. 188.
Moses Henry Perley, Report on the sea and river fisheries of New Brunswick within the Gulf of Saint Lawrence and Bay of Chaleur, Fredericton, J. Simpson, 1850, p. 39.
Meredith H. Sykes. Barachois Buildings, Paspébiac, PQ. Historical Sites and Monuments Board of Canada, 1973, p. 3-4.
Comité pour la sauvegarde des bâtiments historiques de Paspébiac. Des bâtiments historiques à l’abandon., 1977, p. 44.
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