En 1886, à la suite de la faillite de la Banque de Jersey, le banc de Paspébiac est le théâtre d’une véritable émeute. Menacés de famine, les habitants se voient contraints de piller les entrepôts de la compagnie.
11 janvier
La Jersey Banking Company fait faillite, précipitée par les malversations de son directeur, Philip Gosset.
12 janvier
La nouvelle traverse rapidement l’océan grâce au télégraphe. Les magasins Robin et Le Boutillier ferment aussitôt. Dans la population, essentiellement composée de pêcheurs-clients, entièrement dépendants des compagnies, la faim ne tarde pas à se faire sentir.
3 février
Le gouvernement fédéral s’engage à accorder 2 000 $ aux Paspéyas à condition que le provincial en fasse autant. Mais 4 000 $ pour permettre à une communauté tout entière de survivre, ça ne suffit pas. Sans compter que ces sommes modiques n’arrivent pas rapidement en Gaspésie.
6 février
Le curé Thomas Smith de St-Godefroi écrit à Monseigneur Langevin : « J’entrevois la perspective de quelques paroissiens mourant de faim avant mai prochain ». Il dénonce qu’un comité central chapeaute des comités locaux. Pour lui, chaque paroisse devrait pouvoir s’adresser directement au gouvernement. Un crédit global de 4 000 $ est avancé aux nécessiteux pour des denrées. Ce montant devra être remboursé au printemps. Ce sont les marchands qui en assurent la distribution! Le même jour, on rapporte deux vols par effraction : un à Paspébiac, l’autre à New Carlisle.
8 février
On apprend que le crédit accordé annuellement aux pêcheurs par les compagnies s’élève à environ 100 000 $. Les 4 000 $ offerts par l’État ne peuvent compenser. D’ailleurs, cet argent bénéficie plus aux marchands qu’aux pêcheurs.
9 février
Le curé Larrivée de Paspébiac informe son évêque que la région est au bord de la catastrophe : « Je suis habitué à voir pleurer des femmes et des enfants, mais des hommes… » Beaucoup ne mangent qu’un repas quotidien de patates avec du sel. Les semences y passent.
10 février
Le docteur Wakeham constate la misère des gens : au moins 6 000 personnes souffrent de la faim.
11 février
On estime qu’il faudrait au moins 30 000 $ pour se rendre au mois de mai. C’est entre Percé et Bonaventure que la misère frappe le plus fort, là où les marchands jersiais dominent. Ailleurs en Gaspésie, d’autres compagnies les concurrencent.
13 février
Les agents de la compagnie Robin reçoivent l’ordre de faire crédit aux pêcheurs des Maritimes, mais pas à ceux de la Gaspésie. C’est la goutte qui fait déborder le vase. Les gens ne peuvent plus se procurer à manger. Ils épuisent leurs réserves. Vont-ils se laisser mourir de faim alors que les compagnies disposent de farine en abondance ?
15 février
La foule se déchaine. 200 affamés défoncent les entrepôts Robin et Le Boutillier. Les gens prennent tout ce qu’ils peuvent. Les magasins sont saccagés. Selon le curé Larrivée, les émeutiers sont des catholiques. Il mentionne d’ailleurs le bedeau, trois chantres et un marguiller. D’autres sources parlent de Métis. Les ouvriers de la mer de Paspébiac sont à peu près tous des Canadiens-français catholiques.
LES PATRONS PRENNENT PEUR, DEMANDENT L’INTERVENTION DE L’ARMÉE. IMPOSSIBLE. LA MER EST GELÉE ET LE CHEMIN DE FER ARRÊTE À MATAPÉDIA. On communique avec les gouvernements par télégraphe. Des dons arrivent d’un peu partout, de New York même, mais ces quelques milliers de dollars ne changent pas la situation. Le comité de secours est dépassé. LA BOURGEOISIE CRAINT UNE ESCALADE. On apprend que des bouteilles d’alcool avaient été entreposées dans des bureaux du gouvernement avant la rébellion, ce qui signifie que l’on voyait venir l’émeute. On assermente plusieurs Jersiais adjoints au shérif Sheppard de New Carlisle.
17 février
Des gens de Paspébiac et de Saint-Godefroi s’attroupent à nouveau sur le banc de pêche. Onze représentants des forces de l’ordre sont présents, armés de révolvers. Le maire leur lit l’acte d’émeute et exige que la foule se disperse. Il promet un quart de farine à chacun, du lard, du thé et de la mélasse. La foule quitte les lieux, non sans laisser entendre qu’il ne faudrait pas essayer d’arrêter l’un d’entre eux.
18 février
À Paspébiac, on sent qu’une nouvelle émeute menace. « Une nouvelle émeute, avec l’état actuel des esprits, serait plus dangereuse que la première », Le Courrier du Canada (Québec). Le journal demande l’arrestation et la punition des leaders. Sinon une nouvelle crise va survenir. Il ne demande pas des troupes, mais une force de police suffisante, soit des renforts policiers de l’extérieur. Distribution paisible de nourriture à Saint-Godefroi.
19 février
« … si on avait fait un exemple des chefs de l’émeute, il n’y aurait pas à craindre de nouveaux troubles » Le Nouvelliste (Trois-Rivières). Suite à la plainte officielle d’Edward Hue de Paspébiac, agent de la compagnie Le Boutillier Brothers, le juge Ménalque Tremblay délivre les mandats d’arrêt. Ménalque Tremblay est le même personnage qui va inculper une vingtaine d’autres pêcheurs lors de la rébellion de Rivière-au-Renard en 1909. Il rédige des actes d’accusation. Le shérif Sheppard de New Carlisle ordonne l’arrestation de : Élisé Delarosbil, Narcisse Albert, Abel Chapados, Édouard Delarosbil, James Blais, Salomon Delarosbil. Le Monde (Montréal) suggère qu’il serait mieux d’accorder de l’argent en secours direct que de faire venir des troupes qui coûterait très cher. Le même jour, on arrête Henry Berry, commis.
20 février
Arrestation des présumés complices de Berry, Oswald Duguay, Hilaire Duguay et Placide Aspirot, tous trois pêcheurs.
24 février
Edward Hue et Helier Carré portent officiellement plainte pour vol contre les quatre prévenus.
26 février
Trois des six premiers inculpés sont remis en liberté conditionnelle : Abel Chapados, sous caution de 100 $, et les deux Delarosbil, sous caution de 50 $ chacun.
27 février
Six autres pêcheurs arrêtés quelques jours plus tôt sont relâchés sous caution de 50 $ chacun : Théophile Duguay, John Duguay, Samuel Loisel Louis Huard, Aimé Denys et Guillaume Denys.
Mars et avril
LES GENS ONT FAIM. Les secours arrivent au compte-goutte en attendant que la pêche reprenne. LES CURÉS CRAIGNENT UNE NOUVELLE ÉMEUTE.
14 avril
Les créanciers des maisons Robin et Le Boutillier décident de reprendre les affaires.
25 juin
Henry Berry est libéré sous caution de 400 $. Il continue de plaider non coupable.
25 octobre
Les six accusés, qui jusque-là plaidaient non coupables, se récusent et acceptent de plaider coupables à des accusations d’entrée par effraction et de vol dans un entrepôt. Autrement dit, plaidez coupables et votre peine sera moins lourde. Henry Berry et ses présumés complices sont reconnus non coupables.
26 octobre
Le juge J. E. Larue, en présence du procureur de la couronne Charles Darveau et de l’avocat de la défense L. E. Danou, tous des Canadiens-français de l’extérieur, prononce les condamnations :
DEUX ANS DE PÉNITENCIER POUR ÉMEUTE ET SACCAGE D’ENTREPÔT AUX DÉNOMMÉS Narcisse Albert, Abel Chapados, Edouard Delarosbil, Élisé Delarosbil.
SIX MOIS DE TRAVAUX FORCÉS pour James (Jacques) Blais.
DEUX MOIS DE PRISON SANS TRAVAUX FORCÉS pour Salomon Delarosbil.
Après de longs mois à Saint-Vincent-de-Paul, les quatre condamnés sont graciés. Ils ont purgé entre 8 et 20 mois. Mais ils subissent l’opprobre de la population. Même chez eux, ils sont vus comme des criminels. « La preuve, ils ont plaidé coupables ». L’évêque et les curés condamnent les « émeutiers » et demandent la soumission de la population. Les six « coupables » (de vol de farine) ont signé d’un X. Tous les autres accusés aussi, sauf Henry Berry.
LA RÉPONSE VENANT DE JERSEY explique très bien l’exclusion sociale imposée à long terme aux ‘ coupables ’ et le message généralisé de soumission :
16 novembre, Jersey : « Les émeutiers, nous étions bien contents de voir qu’ils avaient été punis. Ils auraient tous dû avoir des peines, 2 ans pour les uns et de 5 à 6 ans pour les autres – vous ne nous donnez pas leurs noms – (faites-le la prochaine fois) – ces peines auront certainement un impact positif sur les autres voyous et les tranquilliseront dans le futur – nous notons que certains sont venus volontairement payer la farine qu’ils avaient volée. » – Moses James Gibaut [Judge Commissioner of the bankruptcy of the Jersey Mercantile Union Bank]
ICI, À PASPÉBIAC, les rébellions de Paspébiac en 1886 et de Rivière-au-Renard en 1909 ont profondément modifié la relation des entreprises de pêche avec leurs pêcheurs et leurs employés. Les pêcheurs gaspésiens assument désormais une certaine indépendance et un premier mouvement vers la création de coopératives se développe. AINSI LA RÉBELLION DE 1886 A SANS DOUTE CONTRIBUÉ À FORGER L’IDENTITÉ DES PASPÉYAS ET À RENFORCER L’ESPRIT D’ENTRAIDE QUI LES UNIT.